Les Intouchables #1 : KOTOR 2

Dans la série des jeux qui ont changé ma vision du média, Star Wars Knights Of The Old Republic 2 : The Sith Lords fait figure de véritable mythe. Frappé de plein fouet par son histoire à un jeune âge, j’ai été bluffé par un jeu bugué, qui ne payait pas de mine de prime abord, et qui apporte des questions accessibles à tous les publics, tout en ne s’avérant jamais prétentieux. Un rythme assez posé, peu de moments d’anthologie, ainsi qu’une histoire qui se pose et s’impose lorsque l’on vient à se rendre compte de la complexité du travail sur l’écriture du jeu. Tout en déconstruction d’un univers mythique, Star Wars KOTOR 2 est un jeu à licence d’un genre rare, car il est avant tout un jeu d’auteur, celui de Chris Avellone. Plus de dix ans après sa sortie, KOTOR 2 reste présent de bien belle manière sur le marché Steam, soutenu par les moddeurs qui lui ont rendu hommage avec une version restaurée et visuellement améliorée. Dix ans de travail pour donner à Star Wars son épisode le plus sombre et le plus énigmatique, c’est ce qu’il aura fallu pour délivrer le potentiel du jeu sans trop souffrir de ses multiples tares. Que l’on s’entende, on ne touche pas à KOTOR 2 pour en dire du mal, parce que c’est un classique.

 

The Sith Lords Theme

 

Un matériel de base léger, un résultat complexe et labyrinthique

Je brise la glace tout de suite : je n’apprécie guère le premier KOTOR. C’est un très bon jeu, bien produit, bien narré, au gameplay et aux graphismes surement bien plus engageant que sa suite. Mais sa peur de sortir des canons de la série dont il est tiré m’a navrée ; on y trouve donc les mêmes clichés, le même manichéisme, bien qu’il connait des exceptions. Un jeu prude mais une bonne base sur laquelle KOTOR 2 va reposer la quasi intégralité de ses mécaniques. A l’instar d’un Fallout : New Vegas pour Fallout 3, KOTOR 2 est bien plus proche d’un gros add-on, ou même d’un mod mal optimisé, que d’un jeu à part entière.

KOTOR 2 n’avait pas l’ambition de révolutionner la formule ; ce n’était pas l’intention de Lucasarts lorsqu’ils ont demandé une suite de sa poule aux œufs d’or. Mais Avellone, devant la nécessité d’accomplir un contrat très alimentaire, a décidé d’en faire une œuvre déconstruisant les repères de la série, offrant par la même occasion une ambiance unique à son jeu, une noirceur que le côté obscur simple n’aurait pas pu apporter. Le côté obscur a des repères : la haine, la peur, la passion. KOTOR 2 mise sur la mélancolie, au sens littéral du terme. La perte de tout, le vide froid et effrayant de substance, le monde de KOTOR 2 n’est même plus une ruine, il est un gouffre dans lequel toute forme d’émotion disparaît, et dans lequel vous incarnerez un personnage qui devra reconstruire ex nihilo de la matière pour apporter un sens.

Car, dans un monde où l’émotion et l’espoir disparaissent, il faut un bastion, un point d’accroche. Il faut un repère. Il faudra donc des personnages, au vécu très différent, aux idées très différentes, qui devront amener le joueur à se poser des questions sur le monde qui l’entoure, à se créer des idées sur ce monde en état de décomposition, que construire sur le terreau qu’est devenu l’ancienne république ? Ces questions font partie du monde en crise de KOTOR 2, mais il y en a une autre bien plus importante aux yeux de l’univers Star Wars : quelle est la nature de la force ? La lumière devrait toujours l’emporter sur l’obscurité afin que l’équilibre soit maintenu selon les Jedis. Les Siths misent sur l’exploitation des pouvoirs offerts par celle-ci dans le but de satisfaire leurs ambitions égoïstes. La lecture des deux camps est amenée sous un jour différent dans KOTOR 2. On y apprend que les Jedis sont des manipulateurs, traîtres, politiciens, soumettant l’esprit de leurs prisonniers à la torture afin d’y extraire ce qu’ils souhaitent y découvrir. Les Siths ont au moins le mérite d’achever après avoir brisé la personne, dira Atton un des multiples personnages complexes de cet univers.

Et pourtant, cette galaxie en perdition nécessite bien le soutien des Jedis afin de se reconstruire, car le côté obscur s’est réveillé de sa torpeur et laisse s’échapper de ses noirceurs abyssales trois monstres, dont le dernier est certainement le moins impressionnant, tout en étant le plus dangereux. Il faudra au joueur décider de quelle manière il combattra cette menace, sous qu’elle bannière. La lumière ? … Absurde, et fruit de fantasmes dénués de considération envers la nature des êtres vivants. Le côté obscur ? … Bâti sur l’égoïsme et l’unique soif de satisfaction personnelle. Les Jedis gris ? … Ces êtres neutres dans la lutte qui ne construisent rien. Ou un nouvel ordre ? Qu’importe vos convictions, le devoir est le même, et la menace réelle.

Mais quand l’univers entier ne respire que la fatigue des luttes incessantes, et l’envie d’en finir une bonne fois pour toute, quelle place pour l’espoir ? Pour la lutte pour la vie, pour l’avenir, quelle place dans une époque où la jeunesse n’a plus envie de rien ? N’est-ce pas un thème effrayamment contemporain ? Musset en parlait déjà dans Lorenzaccio, d’une époque sombre, dépravée et sans goût pour l’avenir. Avellone décrit cet éternel recommencement de combats stupides pour des idées vaines. KOTOR 2 est un jeu mélancolique, qui a conscience que tout espoir de reconstruction est fugace, car voué à découler sur une nouvelle société en perdition, à court ou à long terme, et je vous renvoie à la médiocre mais intéressante prélogie cinématographique de George Lucas.

 

Darth Nihilus Theme

 

Un casting mêlant des personnages différents et tous réussis

Pourtant, dans la forme, KOTOR 2 n’est qu’un bis repetita du premier épisode ; une équipe de personnages forts, allant au secours de la galaxie. Mais ici, l’équipe est bien différente. Elle ne sert pas le héros ; ils ont des objectifs personnels, des passions, des envies, et du peu de liberté qui leurs restent dans un monde qui court à sa perte avant son éternel recommencement. Ils sont en cela uniques, car ils servent de repères à un personnage qui démarre de peu de choses, et se construira avec des souvenirs et des amis, car ce n’est pas d’alliés dont le héros à besoin. Il a tout perdu par le passé. Il s’est exilé de tout ce qu’il défendait auparavant, dégoûté de l’égoïsme et de la bêtise de l’ordre Jedi. Ses compagnons d’infortunes lui serviront à redécouvrir ce en quoi il croyait, et peut-être recouvrir ses pouvoirs. Et c’est à ce moment que j’évoque une autre thématique de KOTOR 2, avec l’apprentissage de la vie et de ses multiples aspects : Kreia.

Je n’ai jamais manqué d’éloges envers ce personnage. Maternelle et à la fois monstrueuse, Kreia saura vous apprendre la force, mais aussi à ne vous fier à personne, tout en sachant qu’il vous faudra manipuler les autres pour avancer. Cette mentor sera votre fil d’Ariane, dans une aventure dont les tenants et aboutissants s’obscurcissent au fur et à mesure. Elle représente à elle seule ce qui déclenche les événements de l’histoire, et ceux qui les terminent. Sans elle, KOTOR 2 n’aurait pas pu dire ce qu’il avait à dire : elle est nécessaire à votre compréhension de l’entièreté du message du jeu.

Le reste du casting évoque des points plus précis du genre humain. Ils sont tous rattachés à un type particulier de personne, tout en n’étant jamais stéréotypés, malgré les apparences. A leur manière ils peuvent vous aiguiller sur le fil rouge de l’histoire, et tresser d’autres fils à celle-ci en poursuivant leurs objectifs, qui évolueront et changeront au fil de l’aventure. Ils viendront former un nœud complexe quand l’histoire viendra à son terme. Ce nœud nécessitera de la réflexion afin d’en saisir tous les tenants et aboutissants, car tout ce que Avellone a écrit pour le jeu, retombe sur ses pattes un moment ou un autre.

 

Rebuilt Jedi Enclave

 

Eh George Lucas ? J’ai brisé ton univers

C’est aussi ça le message que fait passer Avelonne dans son jeu. George Lucas a créé un univers bâti sur la bien-pensance, et des repères moraux évidents pour tout un chacun. Le jeu s’en moque en déconstruisant d’abord les repères, puis les codes visuels qui sont obscurcis, avant d’apporter un message pessimiste, à l’inverse des films de Lucas basés sur l’espoir. C’est d’autant plus intéressant lorsqu’on sait que Avelonne déteste Star Wars. Mais pour la pérennité de son studio, il a pourtant dû écrire dessus. Cette frustration de travailler sur un matériel qu’il exècre se retrouve dans tout ce qui compose le sel du jeu. Et c’est amusant de voir que George Lucas n’apprécie guère Star Wars VII pour les quelques différences qu’il y a avec sa vision de l’univers. Qu’aurait-il dit sur KOTOR 2 qui massacre son travail en se délectant du meurtre ?

Ce message, s’il peut paraître totalement puéril, a eu le mérite de me faire rire, et de me questionner sur l’opportunité que peut être de travailler sur quelque chose que l’on n’aime pas ? Contraint à faire ce que l’on ne désire pas peut donner les meilleurs résultats, visiblement. Un point intéressant que je n’avais jamais envisagé dans ce jeu jusqu’à récemment, ce qui prouve que je m’ennuie beaucoup dans ma vie, et que je suis un fanatique de ce jeu. Mais que voulez-vous, ce n’est pas de ma faute si KOTOR 2 est encore aujourd’hui le jeu le mieux écrit de l’histoire du média, même si je garde en tête Planescape Torment et The Witcher 3. Donc, KOTOR 2 est pour moi un intouchable et un incontournable, et je vous suggère de le faire, de le refaire, sans jamais songer à le critiquer, parce que je serai surement là ce jour pour vous briser, sans vous achever, parce que je suis malgré tout un Jedi dans l’âme.

 

The Final Battle

 

Voilà, ce fut bien plus court que d’habitude, mais je souhaitais expliquer en quoi KOTOR 2 est intouchable. Cela ne tient en effet qu’à une plume, mais c’est bien souvent le cas avec les jeux Obsidian. Cela en fait un studio très imparfait, mais qui sait proposer des histoires complexes et originales, à contre-courant. J’espère que ce texte vous aura donné envie de vous pencher sur ce jeu, voire sur le dernier film encore en salle, qui est aussi très riche si l’on dépasse le cadre des simples apparences. L’apparence n’est que rarement le reflet de la personnalité. C’est ce qu’il faut retenir du laid, mais fabuleux KOTOR 2, et du visiblement niais, mais riche, Star Wars : Le réveil de la force. Sur ce, que la force soit avec vous, et votre cerveau toujours fonctionnel face à une œuvre.

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A propos de l'auteur : Marcheur

Enfant attardé de Kreia et d’Alfred de Musset. Pense que tout est narration, et répète sans cesse qu’il donne tout en dansant comme un ouf

7 Commentaires sur “Les Intouchables #1 : KOTOR 2”

  1. Ouega dit :

    Effectivement, KOTOR 2 a laissé son empreinte depuis bien longtemps, et aucun jeu Star Wars ne peut se targuer d’être aussi mystérieux et sombre. J’aurais aussi ajouté un paragraphe sur le nombre de choix de dialogues qui sont parfois proprement hallucinants car allant jusqu’à 8 réponses différentes ! Et qui changent par ailleurs le comportement des autres personnages dans le jeu ! Un point intéressant dans ce jeu, sur lequel je n’ai toujours pas fait lumière en l’ayant pourtant fini 3 fois.

    Une question qui tue pour la fin : Qu’aurait fait Revan?
    Bon article Marcheur !

  2. Marcheur dit :

    Y a énormément à dire sur Kotor 2 niveau écriture, j’aurais pu étendre le sujet en me penchant sur le contexte politique, des personnages comme Atris (qu’on oublie beaucoup) ou Kreia (qui mériterait un article plus fournie à elle seule) et aussi c’est vrai les choix qui manipulent plus les personnages que le monde alentour et qui finalement ont plus d’impact significatif que dans bien des jeux, mais il faut savoir s’en tenir à un propos et j’ai décidé de faire plus court que je l’avais prévu, étant donné ma tendance à étirer ^^
    Mais merci pour le compliment, et Revan aurait certainement évité bien des erreurs, mais peut-être aurait-il failli dans les épreuves que l’exilé traverse (lui aussi mérite un article, et merde !)

  3. redd dit :

    Ca donne envie de refaire le jeu !

    Pourquoi ne pas faire un article « spoil inside » sur kreia ?

  4. Toupilitou dit :

    Il en faudrait peu pour que Marcheur écrive un bouquin sur elle, donc ce n’est pas à exclure

  5. Marcheur dit :

    Bah honnêtement ça me dérangerait pas une seconde d’écrire sur Kreia, mais après je pense aussi qu’il faut savoir s’arrêter sur un jeu. J’ai écrit une critique dessus, j’ai maintenant écrit un petit article sur le contexte, écrire sur un seul personnage – aussi riche soit-il – j’ai peur que ça ne suscite pas l’intérêt et soi tout simplement ennuyeux.

    Mais ouais, c’est clair que ça n’est pas à exclure, j’ai déjà eu l’idée de parler des personnages dans un article dédié, l’avenir nous dira si Marcheur ressortira Kotor 2 une énième fois pour développer un peu plus dessus :p

  6. Marcheur dit :

    Bon, l’avenir a vite répondu à Marcheur vu que l’article sur Kreia a été écrit ^^

  7. Ninheve dit :

    je ne savais pas d’Avelonne détestait Star Wars et je pense que c’est le coté très manichéen et messianique de l’univers qui doit lui donner des boutons vu ce qu’il en a fait dans KOTOR2. J’aime les Star Wars mais je suis comme Avelonne, je n’adhère pas à cette vision de l’univers avec les gentils et les très vilains pas beau ! et finalement je comprends à présent d’où vient KOTOR2 et pourquoi je l’aime autant ! Merci Chris
    pour tout….
    et d’autres choses encore


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