Deadly Premonition : Director’s Cut

Deadly Premonition

Swery65. Ce blase m’évoquait, avant Deadly Premonition, une sombre marque de soda genre Docteur Pepper, dans le sens truc vraiment imbuvable. Aujourd’hui, cela m’évoque un game designer aux idées obscures, à l’équipe un peu gauche en matière de réalisation, mais avant tout avec un indéniable talent dans l’écriture et la conception de mondes crédibles. Avant Swery65, le top de jeux qui était le mien était occupé uniquement par des RPGs. Et après Deadly Premonition (DP), désormais l’une des places revient à ce jeu sans véritable équivalent pour les raisons que je vais présenter.



Lorsqu’on présente des images de son œuvre, on la montre généralement sous son meilleur jour, ou même, on invente des images (… coucou Watch Dogs !). Mais ce qui saute aux yeux lorsqu’on s’informe sur Deadly Premonition, à travers le boîtier du jeu ou la page Steam, c’est que cela va être moche. Très moche ; vous pouvez déjà considérer que le jeu est affreux tant les illustrations sont horribles, bien que déjà retouchées. Eh bien oui, sans suspens, DP est dans le genre vraiment hideux. Sorti en 2010, le jeu fait peine à voir, digne du niveau du milieu de vie de la PS2 au niveau des environnements. Et les animations, c’est la même histoire. Seule la modélisation s’en sort de manière assez médiocre ; on croirait retomber en début de septième génération, ce qui fait que dès le départ, le ton est donné avec le clipping, l’alliasing, ainsi que les textures qui clignotent et bavent.

Bienvenue dans le monde merveilleux de Deadly Premonition, où le visuel n’est même pas sublimé par une direction artistique réussie ; elle est plate, tout comme le level et le world design. Seul le contexte peut plaire, avec une petite ville dans la campagne américaine, divisée en quartiers par de très grands espaces verts. Vert-vomi au vue de la qualité des textures. Le jeu est aussi d’une stabilité à toute épreuve. Un conseil, passez votre temps à sauvegarder, vraiment, parce que Patrick Crash est à chaque coin de cinématique. Attention : à de très rares occasions, vers le final du jeu, la mise en scène et la direction artistique s’avèrent assez soignées. Cela ne pèse malgré tout pas beaucoup dans la balance, car, à l’instar de son gameplay, Deadly Premonition est visuellement d’une autre époque.

Bon OK, le visuel ça passe même en étant moisi, mais qu’en est-il lorsque la jouabilité l’est aussi, moisie ? (… le terme est bien choisi, croyez moi). Vous souvenez-vous des vieux jeux de tirs ? Du gameplay d’un Metal Gear Solid ? Ou d’un Silent Hill ? Eh bien leur jouabilité en situation d’affrontement avait certainement quelques années d’avance par rapport à DP. Le système de visée de ce jeu est certainement le plus lourd et imprécis que j’ai eu le droit d’expérimenter. Vous trouvez Alpha Protocol mal branlé ? Eh bien par rapport à DP, c’est la crème de la crème. Lorsque vous affirmerez qu’un système de combat est mauvais, vous vous souviendrez alors du jeu de Swery65, et vous vous excuserez immédiatement auprès du jeu.

Pourquoi est-ce que cette partie du jeu est si ratée ? Tout simplement parce que le créateur de l’œuvre s’est vu forcé d’intégrer un système de combat qui, selon lui, n’avait – et c’est vrai – pas sa place dans le jeu. Donc, le tout a été fait sans volonté de bien faire, sans idées d’ailleurs non plus ; l’équilibrage entre les équipements est tout à fait pété, et ceux-ci ne sortent jamais de l’ordinaire. Entendons nous bien : une fois que vous aurez la mitrailleuse 10 mm, et si vous renouvelez votre stock de munitions fréquemment, vous n’aurez plus besoin de rien.

Après ce paragraphe assassin, passons à la navigation dans le jeu. Le personnage est très lourd, très rigide, difficilement contrôlable, ce qui a sa place dans les phases de combat, car ce jeu est orienté survival-horror. Mais le challenge est tellement inexistant qu’en réalité, vous n’aurez pas vraiment besoin de bouger en combat étant donné que vos adversaires sont stupides. Les combats de boss se feront majoritairement avec des QTE… et évidemment, ils sont ratés, demandant des réflexes incroyables alors que le jeu est excessivement lent.

En même temps, quand on parle de QTE, on n’est jamais bien loin de conclure que c’est raté. En réalité certaines séquences au milieu du jeu s’avèrent complètement crispantes, crissantes, et si la langue française l’aurait permis : crisante (copyright déposé par Marcheur). En effet, si vous avez la très mauvaise idée de jouer avec un clavier, préparez-vous à cracher toute votre haine sur le jeu. Il est donc logiquement nécessaire de faire des pauses de quinze minutes toutes les heures en jouant à un jeu plus reposant. Dark Souls premier du nom, par exemple.

Mais lorsque le jeu ne nous harcèle pas via des phases de survival-action-Quantic-Dream-Games, il nous offre des moments plus zens, et plus aptes à calmer nos nerfs… Ah mais non, pas tout à fait, finalement. En explorant la ville, vous aurez le plaisir de faire l’expérience de l’une des pires conduites de véhicule à laquelle j’ai eu le droit en dix ans de jeux. C’est rigide, imprécis, la physique est complètement aléatoire, les voitures semblent ne jamais vouloir dépasser ces putains de 50 Km/h, et sont abîmées dès lors que l’on effleure un mur. Vous comprenez à quel point ce jeu peut s’avérer frustrant ? Pourtant, la phase de conduite comporte une bonne idée : la gestion du carburant, auquel vous devrez faire attention afin de ne pas tomber à sec.

Et pour le reste ? Parce que c’est bien gentil de nous affirmer que tout est naze dans ce jeu, mais s’il n’y a rien à sauver, l’intro n’a plus aucun sens ! J’y viens, ne vous inquiétez pas. Eh bien le reste de la jouabilité est plutôt agréable ; le jeu intègre un système de dialogue permettant de poser des questions dans le cadre de l’enquête, cette dernière composant le scénario du jeu. Le titre comporte des quêtes secondaires plutôt amusantes, mais pas si intéressantes que cela. Malgré tout, le ton léger de l’ensemble permet de souffler entre deux phases plus sombres. Vous pourrez récupérer en ville des cartes à collectionner, des os pour une quête, et divers équipements utiles à votre survie. Un détail qui a son importance : le jeu ne rend jamais son contenu annexe nécessaire à la progression du scénario, ce qui est un très, très bon point.

Vous pourrez, en supplément, gérer les vêtements de votre personnage ; pensez à en changer, à en mettre au pressing, et, mis en place bien avant The Witcher 3, rasez votre barbe qui pousse de manière dynamique. Bref, une sympathique petite gestion du quotidien. Vous pourrez même respecter des horaires de repas. Le jeu comporte d’ailleurs une gestion de la faim et du sommeil, ce qui est un petit plus dans l’immersion. Il comporte donc assez logiquement un cycle jour / nuit dynamique, avec des horaires à respecter pour les missions. En parlant de respect, les PNJ ont un emploi du temps et ne sont pas à votre disposition. Ils ne vous aiment pas tous, ont chacun leurs histoires, et leurs relations entre eux. Tous sont assez subtilement écrits et intégrés dans cette ville remplie de mystère.

Ne sous-estimez pas le travail effectué sur ces personnages, et suivez-les dans la journée : c’est tout simplement bluffant. Ah, et comme le jeu ne manque pas une occasion de nous donner de l’argent, notamment en nous faisant ramasser des médailles en toutes circonstances – même lorsque vous êtes entouré de possédés – vous pourrez le dépenser dans des magasins divers et variés. N’hésitez donc pas à acheter des armes, de la nourriture, des vêtements, des voitures et pleins de choses. Tout cela est drôlement immersif, et on se prend vite au jeu de vivre une vie à peu près normale dans ce monde de fou.

Passons à la dimension sonore – très importante – du titre, voulez-vous ? Dans les jeux vidéo, la musique soutient l’action en règle générale, comme au cinéma. Dans Deadly Premonition il y a peu de musiques qui se font remarquer, mais elles ne s’adaptent pas à une situation. Elles en indiquent seulement le ton. Comique, relaxé, tendu, dégagé, mouvementé. Elles sont peu nombreuses, mais finissent par esquisser une familiarité avec le joueur, ce qui créé un attachement profond entre lui et le jeu. Au départ, vous serez pourtant surpris par ces musiques qui sont très souvent en décalage avec les évènements. Mais je vous rassure, c’est tout à fait volontaire, et cela participe à l’immersion dans un univers qui navigue entre le sérieux et le comique à chaque instant.

A côté de cela, les bruitages sont repris du cinéma, et sont souvent complètement bons marchés ; on se retrouvera vraiment avec des gimmicks complètement dépassés qui vous feront rire, même lorsque la scène s’avèrera quasiment insoutenable à regarder. C’est également volontaire, car le jeu n’aime pas les ambiances avec un seul ton. Il mêle toujours tous les genres afin de créer des atmosphères particulières. Les doublages sont bons, encore une fois surjoué, mais le mixage sonore s’avère assez médiocre ; les personnages murmurent, puis parlent fort dans la même phrase. Cette réalisation sonore permet malgré tout d’appuyer un scénario à l’écriture ciselée, au rythme intelligent, et aux rebondissements nombreux.

Deadly Premonition n’est pas un jeu comme les autres. Vous le comprenez bien désormais. Il n’est pas un bon jeu, il est même très médiocre, mais les mystères de la création sont impénétrables, car l’ensemble marche du tonnerre, et parce que Swery65 est un génie. C’est une affirmation, et je n’attends pas de contestations à ma déclaration ! Au contraire d’un Kojima qui confond souvent le jeu vidéo et le cinéma – même si je ne lui enlève pas son talent, Swery est à mon avis un cran au-dessus dans le ton. Swery, ou – respectons-le – Hidetaka Suehiro, a su avec un seul titre me convaincre qu’il est un game designer de talent – ce que je ne pense pas d’un Kojima – et un metteur en scène de génie, tout autant virtuose de l’écriture que visionnaire. Ouais, tout ça. Ce monsieur a volontairement mis de côté la cohérence, afin d’aller où il voulait aller, tout en méprisant le cinéma et les codes dont il s’inspire pourtant dans la première partie, rappelant Twin Peaks.

Un point que j’ai volontairement rendu indépendant de tout développement narratif : le casting. Vous avez en face de vous l’un des rares jeux dont aucun personnage n’a été laissé pour compte. Ils ont tous beaucoup de personnalité, et sauront se montrer attachants, voire même pour beaucoup d’entre eux, surprenants. Il va si loin dans son délire, et le fait si bien, que le joueur passe naturellement du fantastique au réaliste en environ deux secondes sans que quoi que ce soit ne le dérange. Comment le fait-il ? Difficile à dire ; il laisse planer le doute sur le message, sur la nature du contenu, sur le ton, sur les intentions de départ.

Une fois ces doutes bien installés dans l’esprit embrouillé du joueur, il l’amène à reconsidérer tous ces éléments en le faisant progresser dans l’enquête. Petit à petit, l’ensemble prend sens, quelques petits éléments de réponses s’installent, les pistes se multiplient, puis finalement elles nous amènent à une conclusion évidente. Puis, il brise tout ! Tout ce à quoi vous vous étiez accroché vole en éclat, toutes les évidences disparaissent afin de laisser place à de nouvelles vérités. D’où l’obscurité du propos. D’où le côté faussement réaliste. Hidetaka Suehiro pète toute l’enquête pour la faire partir dans le sens inverse auquel nous pensions devoir aller…

… Jusqu’à un grand final qui laissera le joueur complètement absorbé par des évènements qui paraîtront délirants à celui qui n’a pas joué à ce jeu. Et c’est là où selon moi Swery65 bat Kojima ; là où le dernier joue avec les codes du cinéma, le premier les utilise pour mieux amener le jeu vidéo, c’est à dire interagir avec le joueur lui-même. Hidetaka a mis au point plusieurs techniques afin de créer une relation entre le héros et celui qui le contrôle. Par exemple, vous serez souvent interpellé par le personnage principal. Un rapport qui se construit lentement, mais qui relève l’intérêt d’un jeu pourtant médiocre si l’on ne considère que la technique. Je pense en effet que l’écriture propulse le titre au meilleur niveau. Un jeu culte quoi.

Ma conclusion est que DP pourrait sembler être un mauvais jeu à cause de sa réalisation et de son gameplay. Mais en réalité, il est une fabuleuse expérience interactive qui vous fera sûrement reconsidérer ce qu’est un bon jeu vidéo. Au delà d’un plaisir mécanique simple, DP offre une histoire qui pourrait réapprendre à toute l’industrie à écrire. Swery65 signe un chef d’œuvre d’une laideur sans nom, d’une rigidité à nulle autre pareil. Mais quand vient le final, que l’on se rend compte que cela a duré vingt heures, et que l’on se souvient de chaque instant, de chaque gimmick, de chaque personnage, et que l’on est immédiatement frappé de nostalgie, on se dit alors que Deadly Premonition est une brillante réussite difficilement explicable.

 

Un jeu culte, incontestablement, et sans doute l’un des titres les plus pertinents pour appuyer un argumentaire prouvant que le jeu vidéo n’est pas seulement de la technique. C’est surtout de la passion, et de l’écriture par le jeu. Même si je n’en ai pas le pouvoir, je vous donne l’ordre de vous y essayer, en bravant les crashs afin d’en voir le final. Sans cela, vous risquez de ne jamais connaître l’un des meilleurs scenarii du jeu vidéo, et vous n’en avez pas envie, vraiment pas.

 


 

– Tu as vu Zach ? Comme dans les bonus DVD, il semble y avoir une suite à cette critique.
– …
– Je pense aussi qu’il y a une raison à notre intervention brisant le quatrième mur, devrions-nous nous présenter en bonne et due forme ?
– …
– D’accord, je m’y met. Bonjour, je m’appelle Francis York Morgan, mais tout le monde m’appelle York. Et voici mon ami, Zach. Ne lui posez pas de questions, il n’y répondrait pas. Si nous vous parlons aujourd’hui, c’est parce que vous risquez de nous haïr si nous ne vous prévenons pas de certaines choses. Tout d’abord nous ne sommes pas forcément à la pointe de la technologie, il est fort probable que nous ne soyons pas adaptés à la résolution de votre écran. Alors Zach va vous envoyer un lien vous menant à la solution du problème:
– … http://blog.metaclassofnil.com/wp-content/uploads/2013/12/DPfix095.zip
– Une bonne chose de faite, n’est-ce pas Zach ? À présent, je tiens à vous prévenir que je ne suis pas non plus d’une grande stabilité, aussi bien mentalement comme vous l’avez surement déjà compris, que techniquement. C’est pour cela que lorsque vous serez victime d’un crash – ce qui arrivera – une solution simple existe. Allez sur le raccourci du jeu et sélectionnez la compatibilité Windows 98. Cela devrait résoudre le problème.
– …
– Oui-oui, Zach. À présent nous devons partir. Notre temps de franchissement de la fiction est écoulé, c’est le terme du bonus DVD, comme j’aime le dire. Je vous dis au revoir, et j’espère, à bientôt.
– … »

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A propos de l'auteur : Marcheur

Rédacteur de Loutrage aimant le jeu vidéo dans tous ses pluriels et appréciant tout particulièrement réfléchir sur le média.

2 Commentaires sur “Deadly Premonition : Director’s Cut”

  1. Etorra dit :

    Swery a beaucoup de talent malheureusement ses jeux plaisent à peu de gens puisque la mode actuelle se résume à la beauté d’un jeu et à la pub qu’il y a autour
    En espérant qu’il aille mieux et qu’il n’abandonne pas les jv \o/

  2. Toupilitou dit :

    Petit teasing de folie : On donnera des nouvelles de Swery prochainement 😀

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