Les Intouchables #5 : Dark Souls

« Prepare to die  » s’écrit Marcheur, « Never Again  » réplique Toupilitou. Incapable de faire voir la vérité à la loutre en chef, le nomade repart sur la route en laissant Dark Souls sur la bas côté, après un débat qui ne lui a pas vraiment rendu honneur. Mais, nomade ne veut pas dire que Marcheur ne fait qu’avancer ; après avoir fait quelques pas dans une direction opposée, il se détourne et revient au niveau du titre de From Software. « En a-t-on réellement fini ?« , demande Marcheur au titre silencieux qui restait assis sur un rocher, attendant que Dark Souls 3 sorte pour le guider. « Après tout, le second Dark Souls est un peu difforme, je n’ai pas vraiment envie de jouer avec lui en attendant le nouveau petit, alors pourquoi ne pas refaire un bout de chemin ensemble ? » Il ne parvint pas à capter l’attention du jeu. Irrité, il le prit par le bras et tenta de le forcer à se lever, mais l’œuvre de From Software anticipa l’acte de Marcheur, et asséna un coup de poing au visage du prétentieux rédacteur. Bafoué, le nomade se releva et s’écria « Putain, ça m’a manqué ! Prépare toi à échouer Souls !« 

 

 

Un commun besoin viscéral de s’en prendre une

Le succès de Dark Souls est explicable. Je dirais même qu’il est logique et mérité. Hidetaka Myasaki (et non pas Hidetaka Suheiro) est un concepteur japonais de jeux vidéo qui n’a pas vraiment connu le succès et la renommée, malgré la création de trois titres de la fameuse série Armored Core. Cet homme talentueux a créé, avec le soutien de Sony, le premier Souls, à savoir Demon’s Souls. Sorti dans l’indifférence en exclusivité sur PS3, il finira par trouver son petit public, mais rien d’impressionnant. Il faudra attendre  le soutien de Bandai Namco, ainsi que la sortie sur la Xbox 360 et la PS3 de Dark Souls premier du nom, pour qu’enfin la saga décolle et se fasse un nom auprès du public.

Les jeux vidéo étaient tous en train de se ramollir, de devenir de purs produits de vente, et la distribution de masse s’adressait à un public de joueurs occasionnels. Des joueurs qui n’achètent qu’un ou deux titres par an, mais que les éditeurs convoitent en espérant leur faire changer de mode de consommation. Mode de consommation qui se tournera naturellement vers le jeu sur mobile, avec le public éphémère et amateur de jeux faussement gratuits. Je vous invite à lire l’écrit de Toupilitou à ce sujet, c’est extrêmement instructif et blasant. Mais, le sujet du jour est une incohérence dans l’industrie. Nous sommes en 2011. Le jeu japonais s’effondre avec la déception qu’est Final Fantasy XIII en 2010. Petit à petit, les développeurs japonais sont distancés par les occidentaux, à cause de leur vision conservatrice du jeu vidéo, que Nintendo payera d’ailleurs au prix fort avec sa Wii U en 2012.

Mais, arrive alors en 2011 un titre japonais qui va non seulement conquérir le cœur des japonais, mais aussi celui plus méfiant des niches de gros joueurs d’occident. Ces gros joueurs, dont je fais partie, vont se confronter à un titre qui, grand dieu, va leur résister tout en étant un jeu à gros budget. Nul besoin d’aller supplier le Xbox Live Arcade de nous donner un autre Super Meat Boy ; un hack’n slash retors est arrivé pour satisfaire les mécontents, et je vais essayer de vous dire pourquoi Dark Souls est l’un des plus grands jeux de la septième génération, bien qu’il soit à même de repousser les plus persévérants.

 

 

Un retour au source pour le média

Mettons de côté la narration poussée par le biais de cinématiques emmerdantes, les enjeux épiques, la surpuissance du protagoniste. Dark Souls est un jeu qui met en scène un univers à l’histoire obscure et désespérée. Avare en explications, avare en dialogues, avare en indications, Dark Souls est le genre de titre à vous tacler parce que vous avez baissé votre garde, ou que vous avez admiré l’environnement un peu trop longuement. Le jeu d’Hidetaka Myasaki n’est pas fait pour le public que les éditeurs veulent normalement attirer, car il est austère et exigeant.

Le jeu à l’état pur. Le jeu, maintenant et jusqu’au générique. Les mécaniques sont exploitées et renouvelées tout le long du titre, et il n’y a pas moyen de réchapper à l’adversité, à cette ambiance écrasante, étouffante. Jamais le jeu ne propose de moment « posé » ; il n’offre pas de hub réconfortant, si ce n’est des feux de camp pour réchauffer le mort-vivant que vous incarnez. La mort, elle, est partout. Tout le temps derrière vous, à vos trousses. Résister ne suffira pas, se surpasser deviendra la condition à toute réussite, même la plus infime si vous n’êtes pas familier des mécaniques du titre. Une lutte de tous les instants. Jamais vraiment en sécurité, jamais rassurant, Dark Souls ne veut pas que le joueur se repose sur ses lauriers, même lorsqu’il sera ce que le jeu peut faire naître de meilleur en lui. Le challenge avant toute chose, et un jeu bâti autour de cela.

Et pour qu’il y ait du challenge, il faut forcément que le joueur puisse lutter face aux diverses menaces. Le jeu met à disposition un palette de mouvements tous plus ou moins adaptés à une certaine situation. Vous rencontrerez un nombre d’adversaires conséquent, dans des endroits construits de très différentes manières. Et vous affronterez des boss d’une puissance écrasante, dont vous devrez trouver les faiblesses, et les exploiter en fonction de vos compétences. Car oui, en bon hack’n slash (… pas RPG !) vous pouvez créer des personnages aux builds très divers, et donc jouer des héros très différents d’une partie à l’autre. A chaque personnage son style de jeu, ses forces, ses faiblesses.

Le monde est bâti pour écraser le joueur sous son immensité et sa verticalité. Les ennemis écraseront aussi littéralement le héros. Comprenez que tout ce que propose le titre, jusqu’à son histoire cryptique, pousse le joueur à être prudent et curieux. Expérimenter redevient le maître mot de ce jeu vidéo. Combattre, échouer, recommencer, réussir, progresser, trébucher, ne pas abandonner, et vaincre. L’exigence demandée au joueur d’être plus que ce qu’il était avant de démarrer le titre. Voilà ce qui fait avancer le média. Voilà ce qui fait progresser le joueur.

 

 

Une direction artistique hors du commun

Dark Souls est un peu daté visuellement, certes. Certaines textures rappellent la PS2, d’accord. Le framerate est poussif et la physique est franchement à la rue, pourquoi pas. Mais, en ce qui concerne le design magistral des monstres, la construction des lieux, la foule de détails présents, le côté baroque de tout ce qui relève du visuel, il faut aussi le signaler, non ? Gothique, écrasant, majestueux et effrayant, l’univers de ce Souls fait parti des plus réussis et des plus crédibles du média. Le mal qui sévit dans ce monde déchiré et glauque est perceptible par l’hostilité des lieux, la férocité de vos adversaires, par les chemins escarpés que vous devrez prudemment emprunter, ainsi que par les nombreux environnements accidentés que le jeu vous forcera à traverser. Tout respire ce mal et cette souffrance à venir pour le héros, et par extension, le joueur.

Bien sûr, nous ne sommes pas vraiment seul. Des survivants, obéissants désormais aux cruelles lois du désespoir et de la folie, tenteront à leur manière de vous aider sur le chemin de la victoire. Mais, la plupart du temps, c’est cette solitude déprimante qui vous accompagne. Solitude bienveillante à bien des égards lorsque vous aurez sous vos yeux les flammes salvatrices d’un feu de camp et que, dans le bois à jamais en feu, vous verrez le même brasier qui anime encore votre être. Ce besoin d’avancer, de combattre pour que la flamme à jamais reste allumée. Tout vous incite à abandonner, mais vaincre quand l’univers entier vous invite à abandonner, c’est la plus belle des victoires. C’est la plus grande satisfaction que de vaincre lorsque tout semble perdu.

La musique accompagne évidemment tout ceci, souvent absente, elle sort de son silence pour vous abasourdir quand une fantastique et gigantesque créature vous fera face, et ce n’est qu’à la victoire que le silence reviendra en récompense. Cet ensemble de choses, ce soin dans la réalisation, rattrape tous les défauts visuels du titre, et prouve que même techniquement désuet, un jeu peut rester beau grâce à ses artistes. Si vous ne le croyez toujours pas, regardez des images de Shadow of the Colossus pour vous en convaincre. Pourquoi citer ce titre ? Parce qu’il est l’une des influences de Dark Souls et de son créateur ; le gigantisme, la faiblesse apparente du héros, le surpassement de soi, autant de thèmes que l’on retrouve dans Dark Souls.

 

 

Dark Souls, le jeu vidéo à son meilleur

Brute et arrachée à un magnifique filon, la pierre précieuse qu’est Dark Souls est inestimable malgré ses nombreuses aspérités. Bien sûr, les moins patients, les plus faibles ou les moins touchés tout simplement, y verront trop de défauts pour en voir la véritable lueur. Mais, il reste un fait incontestable : Dark Souls est un titre bâti pour durer pour des années, voire peut-être, des dizaines d’années. Déjà au panthéon des meilleurs jeux de la septième génération, il est déjà père d’un émule intelligent mais encore imparfait : Lords of the Fallen. Exemple à suivre, et d’ores et déjà suivi par les développeurs qui savent ce qui marche et ce qui est bon pour le média, Dark Souls aura toujours des détracteurs, mais ceux-ci reconnaissent tout de même les qualités de l’œuvre de monsieur Hidetaka Myasaki.

Il existe malgré tout un défaut de Dark Souls qui est bien plus dérangeant, et vient de son public : le titre est mystifié. Il est devenu, en peu de temps, un des jeux que l’on qualifie arbitrairement comme impossible à dompter, difficile à en crever, obscur sans raisons. Tout ceci n’est pas vrai. Pas du tout. Dark Souls est surmontable par tout joueur un minimum connaisseur du média. Encore faut-il accepter d’être la proie du jeu, et vouloir apprendre à retourner cette situation. Tout amateur d’expérience rafraîchissante et de challenge intéressant se doit d’essayer Souls, de se prêter à son jeu de douleur et de victoire, de surmonter les fantastiques adversaires du titre, parfois si mémorable que vos rêves en subiront l’influence deux ans plus tard.

Dark Souls est un jeu faisant perdre goût aux autres tant il met la barre haute en matière de plaisir ludique. On ne revient pas de Souls indemne et sans avoir changé de regard sur le média. Quelle que soit l’influence que le titre aura sur vous, il en aura une. Il vous apportera quelque chose, il vous fera mal, peut-être plaisir, mais quelque chose vivra en vous, en provenance de Dark Souls : une nouvelle idée sur le jeu vidéo et sa portée. Même s’il vous fait peur, même s’il a des défauts, même si vous ne pensez pas être à la hauteur (… à tort), personne n’est à la hauteur de quoi que ce soit avant d’y être confronté.

 

 

Il n’y a pas de bonnes raisons de jouer à Dark Souls. Il n’y en a que des mauvaises à ne pas s’y essayer. Parce qu’il vous énervera, ou vous mettra hors de vous, ou vous donnera envie d’arrêter de jouer purement et simplement aux jeux vidéo. Mais, vous savez quoi ? C’est pour cela que ce titre est fabuleux. Il arrache de vous toute la force que vous avez, décuple vos réflexes, votre envie de vaincre, réveille la rage qu’il y a enfoui depuis des années par des jeux parfois frustrants, mais souvent trop faciles. A vaincre sans difficultés, la victoire n’en est que trop fade. Les victoires dans les Souls ne sont pas fades. Rien ne l’est. Même si vous ne venez pas à bout de ce titre, même si vous en ressortez profondément blessé dans votre ego, au moins aurez vous découvert (… ou redécouvert), un jeu qui vous résiste et vous fait ressentir des choses. N’est-ce pas cela que l’on demande d’une œuvre ? Nous faire ressentir des choses qui nous suivront même une fois que nous aurons fini de les contempler ou de les expérimenter ? C’est personnellement tout ce que je leur demande. C’est pourquoi je retourne encore sur ce Souls, en me préparant à mourir, mais aussi en me préparant à ressentir une satisfaction intense lorsque je surmonterai une de ses épreuves.

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A propos de l'auteur : Marcheur

Enfant attardé de Kreia et d’Alfred de Musset. Pense que tout est narration, et répète sans cesse qu’il donne tout en dansant comme un ouf

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