Orwell

Orwell

Avec un tel nom de jeu, Orwell, il est aisé d’en deviner la teneur. Le titre va en effet fouiller dans l’équilibre précaire entre liberté et sécurité, où les compromis sont inévitables, mais où les abus le sont aussi, inévitablement. Il développe également un autre aspect, à savoir les traces que chacun laisse dans le Grand Internet, de leurs multiples interprétations, et du stockage exponentiel des données que cela induit. Enfin, des aspects sous-jacents affleurent à la surface, tel que la propagande, le libre-arbitre, ainsi que la falsification et la rétention d’informations. Vaste programme ! Mais, les australiens d’Osmotic Studios ont-il pour autant réussi à rendre l’expérience crédible ? C’est ce que nous allons voir ensemble. C’est parti !

 

War is peace

Pour les trois incultes du fond pour qui Orwell évoque une marque de vêtements, il convient de faire un petit rappel. Ce jeu tire donc son nom du pseudonyme d’un écrivain du XXème siècle, Eric Arthur Blair aka Georges Orwell, célèbre pour avoir écrit le roman 1984. Sous forme de mise en garde, ce dernier dépeint un monde où l’État dérive salement, en tenant un rôle de surveillance et de contrôle auprès de son peuple. Les développeurs ne cachent d’ailleurs pas le fait d’avoir choisi le nom de l’écrivain pour titre de leur jeu, car c’est un nom qui parle à tout le monde (… à part pour les trois incultes sus-cités). Et, fort opportunément, cette histoire fait écho à notre monde moderne, entre diverses révélations de scandales de surveillance massive, notamment celles de la NSA mises à nu par Edward Snowden. Derrière les bonnes intentions mises en avant, il suffit de soulever légèrement la jupe de l’opération pour réaliser qu’entre de mauvaises mains, ce système est potentiellement explosif, puisque son origine n’est finalement que la peur (… la tentation de citer Yoda est forte !).

A l’instar de 1984, Orwell prend place dans une dystopie. Vous êtes un agent chargé de collecter et de recouper des informations d’un pays dont vous ne faites pas partie, pour les transmettre aux autorités locales. Pourquoi être extérieur au pays surveillé ? Afin d’être supposément impartial, ce qui est, supposément, une connerie légèrement candide. Toutes les informations que vous allez réunir vont servir aux agents sur le terrain afin de pouvoir prévenir des attaques terroristes. Ainsi, c’est donc par une attaque terroriste que tout commence, puisqu’une bombe explose sur une place publique. Néanmoins, il convient de remarquer que là où Georges Orwell dépeignait un monde futuriste et son fonctionnement tout droit sortis de son imagination, le jeu des australiens n’amène pas ce degré de distance tant l’univers est contemporain, calqué sur le nôtre ; presse en ligne, blogs, réseaux sociaux, etc…

 

Big Brother is watching you

A l’issue de cette explosion, il vous est demandé de chercher et collecter tous les éléments de preuves pouvant lier des personnes à cet attentat. Votre seule piste de départ est une personne, Cassandra Watergate (… hum hum), ayant des antécédents judiciaires mineurs (… comme par hasard, pour activisme), dont le visage a été reconnu par une caméra située sur le lieu du drame. A partir d’un visage, nous allons devoir reconstituer le profil de la personne ciblée ; son état civil, sa personnalité, ses liens avec d’autres personnes, son emploi du temps, etc… Les informations exploitables sont mises en évidences par le logiciel de surveillance, et tout ce qui vous semble pertinent peut être ajouté au dossier du ou des suspects via un simple drag & drop. Toutefois, toutes les données remontées ne peuvent être effacées, bien qu’elles puissent parfois être écrasées par une autre information ; cela m’est arrivé plusieurs fois par erreur, ce qui peut s’avérer frustrant lorsque l’action n’était pas souhaitée.

A noter que seules les informations en surbrillance peuvent être transmises, ce qui bride grandement la faculté de faire littéralement de la merde, que ce soit volontairement ou non d’ailleurs, nous rappelant que ce jeu est définitivement une histoire interactive. Le classement des informations se fait également de manière automatique dans les bonnes catégories du profil. Tout ceci fait que le joueur est abusivement pris par la main. En clair, si avant même de jouer vous aviez l’intention de procéder à un sabotage sauvage de l’outil de surveillance, sachez que cela ne sera pas possible, et que seules des options plus ou moins subtiles vous permettront de manipuler légèrement les données dans le sens que vous souhaitez. Les fonctionnalités du jeu amènent donc le joueur sur des rails afin de permettre à l’histoire de se dérouler correctement ; seuls les événements prévus par les développeurs surviendront, quand bien même il existe plusieurs fins.

Vos objectifs vous sont transmis en direct par un représentant du gouvernement, qui a pour tâche d’orienter vos recherches. Néanmoins, c’est un dialogue à sens unique, puisque vous ne serez pas en mesure de lui répondre. Le seul retour que vous pourrez effectuer vis-à-vis de cette personne sera de lui retourner les éléments que vous aurez collecté. Ainsi, il ne sera pas possible de laisser une place à l’interprétation, puisque vous ne transmettez uniquement des informations brutes et des faits, quand bien même vous pourriez avoir une interprétation différente de celle du représentant. Ce ne sera donc pas à vous de rendre des conclusions, mais vous pourrez néanmoins les orienter dans la bonne ou la mauvaise direction. Et c’est à ce moment-là que la prétendue impartialité de l’agent extérieur vole en éclats.

D’une part, votre utilité est d’effectuer un tri parmi l’ensemble des informations disponibles. A vous de juger de la pertinence de telle ou telle information. Remonter dans le profil d’une personne qu’elle kiffe la couleur rouge et les pommes est tout à fait inutile, bien que vous puissiez le faire, au risque d’embrouiller le superviseur chargé d’assembler les pièces du puzzle que vous aurez déniché. A vous également de faire le tri parmi plusieurs informations en les remettant dans leur contexte. Par exemple, il est tout à fait possible de remonter l’information comme quoi telle personne a dit sur un tchat « j’ai envie de buter machin », mais en le remettant dans le contexte de la discussion, on observe que cette phrase a été dite sur le ton de l’ironie. Remonter cette information fausserait le jugement et entrainerait des actions sur le terrain (… appréhender la personne) pouvant faire perdre un temps précieux aux forces opérationnelles.

Et la recontextualisation des données est une phase essentielle de la remontée de données, puisqu’une personne ne tiendra pas toujours le même propos, que ce soit sur un espace professionnel ou personnel, public ou privé. Prenez votre exemple personnel, et constatez la nuance de votre propos selon la plateforme, selon votre interlocuteur, ou selon le public auquel vous vous adressez. Quoi qu’il en soit, à vous les joies de l’espionnage de messageries, de conversations audio ou textuelles, de comptes bancaires, de blogs, de prise de contrôle à distance d’un PC ou d’un téléphone. Petit conseil de loutre : dans le cas d’un espionnage en direct, il convient de d’abord laisser défiler la conversation, puis de transmettre les données, ceci afin de disposer d’une meilleure vue d’ensemble et de ne pas transmettre des informations erronées (… excepté s’il s’agissait de votre souhait).

 

Our commandment is « You are  » .

Graphiquement, pas de quoi casser trois pattes à un canard, et notre interface se limitera en grande majorité à celle du logiciel de surveillance. Sur la partie gauche, on retrouve les informations remontées sur les profils de toutes les personnes impliquées de près ou de loin à nos recherches, tandis que la partie de droite regroupe toutes nos possibilités d’investigation. Là encore, afin que le joueur ne se perde pas dans la masse des informations disponibles, on le tient encore par la main en lui indiquant, à travers un marqueur, les documents ayants reçu ou contenant des informations intéressantes. Alors certes, plus on avance dans le jeu, et plus le nombre de documents accessibles est monstrueux, mais cela a pour conséquence que le joueur ne réfléchit pas tant que ça lors de sa recherche. Pour ma part, au bout d’un moment, je me contentais de suivre les marqueurs, ce qui a un aspect brainless assez peu sexy.

En ce qui concerne la partie sonore, comme à mon habitude, je… n’en ai absolument aucune idée, puisque je me suis écouté les meilleurs albums de Radiohead en sourdine, ce qui allait plutôt bien avec l’univers et le déroulement assez lent des événements. D’ailleurs, en ce qui concerne la durée de vie d’Orwell, le jeu est découpé en cinq actes, chacun représentant une journée d’investigation, et dont la durée avoisine une heure. Pour les trois incultes du début d’article qui sont aussi des quiches en math, cela donne une durée de vie d’environ cinq heures. Étant donné que nous sommes téléguidés du début jusqu’à la fin, j’ai bien envie de dire qu’heureusement qu’il ne durait pas plus longtemps, ce qui fait qu’il est assez peu rejouable malgré les plusieurs fins disponibles. Pour le reste, amis anglophobes, fuyez, car ce jeu n’est disponible que dans la langue de Shakespeare.

 

Intéressant dans son concept, on est passé à côté d’un vrai jeu d’investigation qui aurait pu être énorme, puisqu’il ne s’agit finalement que d’une histoire interactive. Sans être mauvais, car il a au moins le mérite de mettre en relief un parallèle avec notre propre pratique d’Internet et des traces qu’on y laisse, il ne me restera pas en mémoire comme avait pu le faire le bouquin écrit par Georges Orwell. Eh ouais ; utiliser un patronyme célèbre ne transforme pas forcément une œuvre en très bon jeu pour autant. Recommandable ? Ouais, possiblement, mais je vous recommande toutefois de vous essayer à la démo au préalable !

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A propos de l'auteur : Toupilitou

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