Patrick Pligersdorffer – Cyanide

Patrick Pliggerdorfer - Cyanide

Illustration réalisée par Idx’ArtInterview réalisée pour RPG France, Partie 1Partie 2

 

Certains font la tournée des grands ducs, mais pour ma part, je fais plutôt la tournée des boss de fin de niveau des studios de dev’ parisiens. Et s’il y a bien quelque chose qu’ils ont en commun, pour notre plus grand plaisir, c’est bien de ne pas pratiquer la langue de bois. Après Jehanne Rousseau de Spiders, voici donc la retranscription de l’entretien que j’ai eu avec Patrick Pliggersdorfer, patron de Cyanide.

 

Est-ce que tu pourrais te présenter rapidement pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Patrick Pliggersdorffer, je suis actuellement président et un des fondateurs de Cyanide.

Quelle serait pour toi la définition du RPG dans le monde du jeu vidéo ?
C’est vraiment pas une question simple ! (rires)

Oui, y’a tellement de visions différentes. On va dire plutôt, quel type de RPG aimes-tu ?
J’aime bien les RPG plutôt occidentaux. Disons qu’à la base j’ai grandi dans les RPG papier. J’ai commencé comme pas mal de monde sur Donjons et Dragons, et joué à pas mal de trucs qui vont de Paranoïa à Cthulhu. On a essayé un peu tout ce qui sortait à l’époque. Donc ouais, plutôt ce qui est RPG occidental. À l’origine, j’aurais dit que ça incluait un groupe, mais de moins en moins finalement. On peut faire de très bons RPG avec un seul perso. La définition ce serait plutôt d’arriver à se mettre dans la peau d’un personnage, ou de plusieurs personnages, et de l’incarner.

Après, dans le jeu vidéo, on doit essayer de donner un certain nombre de choix, que ce soit dans l’évolution du personnage et de ses caractéristiques, ses compétences. Est-ce qu’il doit y avoir un inventaire ou pas ? C’est des questions qu’on se pose fréquemment. Pour moi, c’est pas un élément important, tout ce qui est crafting, etc… Beaucoup de joueurs le veulent, mais c’est pas spécifiquement important. Pour moi, c’est essentiellement l’évolution du personnage. Typiquement, quand je joue à un gros RPG, tout ce qui est crafting, ça me saoule plutôt qu’autre chose.

Et du coup, quel serait le RPG que tu préfères ?
Il y a le côté vieux où on a des bons souvenirs, et donc ce serait le premier Baldur’s Gate pour moi, pas le deuxième. En plus, à l’époque, tout le monde disait que le RPG c’était mort. Ils ont inventé une nouvelle manière d’aborder le RPG. C’était vraiment une grosse claque. Pour le 2, il y avait moins l’effet de surprise.

Si je ne dis pas n’importe quoi, la core-team venait d’Ubisoft. C’était quoi l’idée fondatrice de Cyanide ?
On était un peu frustrés chez Ubi ; finalement on ne choisit pas trop ce qu’on fait, et on ne choisit pas trop la manière dont on le fait. En tout cas, à l’époque. Donc c’était plus de faire des jeux qui nous intéressent, et à notre manière.

Et ça a commencé avec un jeu de cyclisme ?
Ouais. Déjà, je suis un fan de cyclisme. C’était ma lettre de motivation pour rentrer chez Ubi. Et souvent le problème dans un studio de dev’, c’est que quand t’as fini un jeu, bin t’as le droit de recommencer à zéro et prier pour que ça marche encore histoire de survivre un peu plus longtemps.

Surtout que ça reste quand même un jeu de niche le cyclisme ?
Ouais mais par contre, le gros plus, en fait, c’est qu’en regardant ce que faisait EA (toutes proportions gardées bien sûr), chaque année, ils ressortaient un jeu de sport. Ça leur apportait de la stabilité. Du coup ils pouvaient prendre des risques à côté. Ils savent qu’ils vont faire tant d’argent sur un jeu de sport. Nous c’est ce qu’on recherchait. On trouvait qu’il n’y avait pas de jeu de cyclisme à l’époque. On s’est dit que si on en faisait un, un bien, et qu’on arrivait à l’asseoir, alors on pourrait faire d’autres choses après. Par contre, c’est clairement pas un truc uniquement financier. C’est une passion à la base.

Et au-delà des jeux de sports, il y a aussi les wargames qui ont l’air d’être bien appréciés en interne ?
À l’origine dans Cyanide, il y avait deux grandes idées de base : c’était de faire un jeu de cyclisme, et de faire Blood Bowl. C’était les deux seuls trucs qui étaient très clairs…

… Et ça a commencé avec Chaos League ?
On a contacté Games WorkShop qui avait laissé les droits à un studio qui s’appelait Warthog à l’époque, et qui est mort depuis. Et on a fait Chaos League, qui n’était pas Blood Bowl en fait. Les classes et les races étaient différentes, mais le gameplay l’était beaucoup également. Le prémisse général était proche, ce qui nous a valu quelques petites discussions un peu musclées avec Games WorkShop. Mais tout a fini pour le mieux. On a abandonné Chaos League et on a fait Blood Bowl. Il avait eu un bon petit succès critique, il était apprécié des joueurs. Bon c’était pas un gros succès commercial hein…

Donc on peut dire que sans Chaos League, il n’y aurait jamais eu l’acquisition de la licence Blood Bowl ?
C’était même sûr je pense, parce qu’ils nous auraient jamais parlé. Donc ouais, de temps en temps, faut prendre des risques.

Il y a d’autres licences que tu aimerais adapter ? Parce que beaucoup de jeux Cyanide proviennent de licences existantes, même s’il y a eu quelques créations.
Bon évidemment, quand on a fait le Trône de Fer, j’étais fan des bouquins, mais fan de chez fan. À l’époque, c’était pas très connu. C’était même pas du tout connu à part des fans d’heroic fantasy… Et encore. Je lisais beaucoup de bouquins et j’avais vraiment été scotché. Et on avait contacté l’auteur, avant la série. On avait même contacté pendant longtemps Moorcock, enfin, son agent. Je suis un fan absolu d’Elric. On avait même tenté pour Hawkmoon, puisque j’avais joué au JDR. Bon voilà, après ça s’est jamais fait.

Pourquoi ?
Il y a des agents qui ont des ambitions démesurées pour des licences qui ne les valent pas, parce que ce n’est pas assez connu du grand public. On ne va pas en vendre des caisses parce que tu vas utiliser la licence Elric.

Ils ont tout de suite en tête le gros blockbuster ?
Ouais. Et pourtant y’a un univers sympa, mais c’est pas prendre une licence pour en vendre plein. C’est vraiment pour donner quelque chose de bien, pour un truc qui nous passionne. Ça aurait pu redonner de la visibilité à Elric, vu qu’en plus ça fait des années qu’ils parlent d’en faire un film ; c’est Universal qui a l’option depuis le début des années 2000. Après… On aurait bien aimé faire un truc sur Cthulhu. Sinon, des licences, là comme ça, j’en vois pas particulièrement, ou peut-être des licences de BD, mais qui ne sont pas connues. Je mange aussi pas mal de BD (rires). On fonctionne pas mal sur des coups de cœur. De toute façon, on a pas les moyens d’acheter des grosses licences, donc on va plutôt sur des trucs moins connus, mais qui nous bottent bien.

Ça avait d’ailleurs commencé avec Confrontation ?
Ouais. On aimait l’univers, on aimait beaucoup le design graphique des figurines. Donc on s’était dit qu’on allait faire un jeu avec leur licence et que ça pourrait la faire regrossir. En fait, Rakham est mort. Donc on a racheté les droits pour Confrontation au tribunal de commerce parce qu’on voulait pas que quelqu’un nous les prenne et nous fasse chier derrière. Et on a continué et on a maintenant une légion de figurines. (rires)

Oui, j’ai vu rapidement le mur de figurines en rentrant dans le studio ! Petite parenthèse, j’avais rencontré Hanakai Studios à la Paris Games Week. Tu as vu un petit peu Prodigy ?
Ouais tout à fait. D’ailleurs, Jean Bey est un ancien de Rakham. À l’époque où on a pris la licence, je parle même pas de racheter après, il était déjà parti de Rakham, et pas forcément en bons termes. Donc on s’est plutôt reparlé après.

Et la technologie NFC, potentiellement, ça t’intéresserait, vu que pas mal de licences Games Workshop se prêteraient bien à ce support ?
Ça pourrait, mais ça reste quand même compliqué parce qu’il y a la tablette qu’il faut commercialiser. Ça a un coût de fabrication assez important. Faut trouver quelqu’un qui va la mettre en vente. Donc je pense que le premier truc qu’ils ont à régler c’est le problème de distribution. Une fois qu’ils auront réglé ça, peut-être qu’il y aura d’autres possibilités. Tant qu’il n’y a pas une base installée suffisante, c’est compliqué.

Après Confrontation, il y a eu Aarklash Legacy, qui a eu un très bon retour des joueurs…
… Nettement meilleur que Confrontation, parce qu’on s’était dit qu’on pouvait faire mieux et qu’on voulait pas lâcher le morceau. Donc on a relancé Aarklash derrière pour faire mieux, et on a fait mieux.

Oui, c’était un melting-pot de pas mal de genres de jeux ; MMO, MOBA, RTS, RPG… Et ça a bien marché ?
Critiquement, ça va. Commercialement, non, pas spécialement. Comme quoi c’est la preuve qu’il suffit pas seulement de faire des jeux qui tiennent la route pour en vendre. Faut trouver le moyen d’en parler. C’est pour ça que finalement, les éditeurs restent importants.

Mais, maintenant, c’est moins compliqué qu’à l’époque d’Aarklash ?
Non, c’est de plus en plus compliqué je dirais. Il y a eu une fenêtre d’opportunité au moment où Steam n’était pas encore ouvert à tout le monde, où c’était beaucoup plus dur d’y entrer avant qu’ils lancent Greenlight. Et on parle pas du moment où ils ont dit qu’ils allaient commencer à Greenlighter tout le monde. Il y avait une mise en avant régulière des jeux vu qu’il n’y en avait pas autant. Et maintenant, il y a tellement de jeux que pour être mis en avant c’est la guerre, donc faut avoir quelqu’un qui est capable d’assurer un certain chiffre d’affaire à Steam. Avant t’avais l’éditeur qui parlait à la FNAC, maintenant l’éditeur parle à Steam, voilà… Donc on revient un peu sur les mêmes bases. C’est un peu moins le cas sur consoles. Pour les petits indépendants, se faire mettre en avant par les consoliers, c’est compliqué.

C’est vrai qu’il y a toujours entre 5 et 10 nouveaux RPG par semaine. C’est vraiment énorme comparé à quelques années en arrière, où c’était vraiment limité.
Faut dire qu’avant il y avait des personnes qui bloquaient l’accès au marché, ce qui était « mal » par certains côtés, parce que ça voulait dire qu’il y avait des gens qui ne pouvaient pas sortir leurs jeux. Mais d’un autre côté, quand y’a trop de jeux, la plupart ne font plus d’argent. Sur mobile, c’est pareil, y’en a tellement qu’il y en a une petite minorité qui fait de l’argent. Et en gros, c’est surtout ceux qui ont l’argent pour faire du gros marketing derrière.

Et c’est quelque chose qui pourrait intéresser Cyanide, les jeux sur tablette ou smartphone ?
On a fait Blood Bowl, parce que ça colle bien. On avait fait un ou deux essais mais c’est pas trop dans notre ADN. Je joue pratiquement pas sur mobile, donc j’aurais un peu de mal à deviner ce qu’on attendrait de mon jeu sur ce support.

Le p’tit dernier, pour rester sur la licence Confrontation, c’est Dog of War Online, mais avec un autre type de gameplay.
C’est basé sur ce qu’on aurait trouvé finalement sur un jeu de plateau ; le jeu de figurines à l’époque. C’est un jeu d’escarmouche, avec cases, en tour par tour. On s’est dit que plutôt que de faire comme tout le monde un free to play basique avec un MOBA, ou un jeu de carte à la mode, on va faire un truc beaucoup plus hardcore qui plairait aux joueurs de figurines, qui est la base de la licence Confrontation. Par contre il n’y a clairement pas assez de monde. Même chose, faut trouver le moyen d’être mis en avant pour sortir du lot.

Dungeon Party a connu un peu le même destin ; il y a eu une petite communauté au début, et là maintenant, on peut dire qu’il est un peu mort ?
Oui, oui, tout à fait, on peut le dire. Mais avec toutes ces expériences, on en revient au même truc ; il y a eu une phase où on s’est dit qu’on allait tenter de l’auto-édition, parce qu’il y a peut être une fenêtre. Mais ça s’invente pas le marketing, et c’est super compliqué. Ça marche pour des gros studios, une fois qu’ils ont une marque et sont connus. Mais si c’est pas le cas…

Du coup, le mariage avec Focus fonctionne bien parce que ça vous permet de ne pas gérer du tout la partie marketing ?
Ouais tout à fait. Ce n’est pas ce qui nous intéresse le plus. Et puis, ça se passe bien depuis des années. On a à peu près les mêmes envies. Je pense qu’ils sont bons pour vendre des jeux qui sont plus ou moins de niche. On a pas les budgets des AAA, donc on restera toujours dans de la niche. Et ouais ça marche bien comme ça.

Au début de Cyanide, sur quelques jeux qui sortaient, le ressenti des joueurs était qu’ils n’étaient pas complètement finis. Cette image-là s’est forcément estompée au fur et à mesure que le studio a pris de la bouteille et sorti pas mal d’autres jeux, mais est-ce que cette image a porté préjudice, ou est-ce que c’était juste un épiphénomène de journalistes ?
Nan… Bah peut-être un peu pour les journalistes, et quelques joueurs. Mais ça a rarement eu un impact réel sur les ventes. Ne serait-ce que parce que sur pas mal de jeux, on faisait un suivi. Donc ça râlait au départ, mais moins après. Le problème aussi c’était qu’on avait des jeux qui étaient beaucoup trop ambitieux par rapport aux moyens qu’on avait.

Par exemple ?
On mettait beaucoup trop de mécanismes dans un jeu, donc à tester c’était une horreur, le polish il était moyen, voire mauvais ou médiocre… Ce qui faisait que c’était pas assez bon, mais avec le temps on a appris à limiter certaines de nos ambitions, à chercher à peut-être faire moins de choses, mais de mieux les faire.

On voit à travers le catalogue que Cyanide touche à peu près à tous les genres de jeux, mais est ce qu’il y a des envies particulières pour un genre précis ?
Typiquement, je pense que le RPG en est un. C’est dans l’ADN de Cyanide, et en tout cas dans celui de plusieurs personnes-clé à Cyanide. C’est pour ça que par exemple on a pris la licence du Trône de Fer pour entrer aussi là-dedans. On voulait pas rentrer dans le RPG avec une licence propre. On avait fait Of Orcs and Men, même si ça a été développé chez Spiders ; c’est notre univers, c’est notre design… On avait pas les ressources en interne pour le faire, mais on voulait vraiment se lancer dessus…

Parce que c’était au même moment que Game of Thrones ?
Ouais. D’ailleurs, Game of Thrones, personnellement, je trouve que c’est un bon jeu…

… Pour tout te dire, j’ai découvert Cyanide seulement cette année, et j’ai commencé par Game of Thrones. Même si j’ai un peu, beaucoup, lutté avec le gameplay, j’ai franchement adoré l’histoire. Je ne connaissais pas l’univers, donc je l’ai aussi découvert à cette occasion. Et j’étais franchement sur le cul à la fin du jeu ; j’avais fait n’importe quoi tout du long de ma partie, et au final, je n’ai eu que ce que je méritais ! (rires) Et c’est un des trucs que j’apprécie beaucoup dans les RPG. Du coup, j’ai dévoré la série et les bouquins dans la foulée. Donc rien que pour ça, un grand merci…
… Bah c’est surtout à l’auteur à qui il faut dire merci.

Mais ça restait quand même quelque chose de retranscrire si bien cet univers, de faire une histoire qui tient la route, qui est prenante, sans pour autant spoiler la série ou les bouquins…
C’était l’idée de toute façon à la base. Si les gens qui connaissaient la licence vivaient la même histoire, justement dans un RPG, je ne trouvais pas ça intéressant. On voulait mettre le joueur dans ce monde-là qui est un peu à part ; c’est brutal, tout le monde meurt, etc… C’est d’ailleurs construit comme un bouquin puisqu’on alternait les chapitres en alternant les personnages jouables. Mais c’est vrai que les retours qu’on a eu c’était surtout sur le gameplay

Il a pris cher à l’époque…
Ouais, je pense qu’il a pris plus cher qu’il n’aurait dû prendre. L’histoire et les personnages étaient très bien, mais effectivement, on a eu pas mal de critiques sur le gameplay. Et avant celui-là, il y avait eu un RTS avec Genesis. En fait, quand on avait pris les droits d’adaptation, on avait droit à deux types de jeux : jeu de stratégie, et jeu de rôle. Stratégie c’était aussi pour raconter l’histoire avant ; tout ce qui n’est pas raconté dans les bouquins, comment Westeros en arrive là. Et là encore une fois, je pense qu’on a été cent fois trop ambitieux dans les mécanismes… Beaucoup trop, le jeu est trop complexe. Nous, on jouait, on était habitués, ça passait tout seul. À la limite, il y avait presque pas assez de mécanismes. Mais après, pour rentrer dedans, je comprends que pour quelqu’un qui n’est pas habitué, ça puisse être dur. Mais au final, les deux ont pas mal tourné.

Cyanide a toujours les droits pour faire une nouvelle adaptation ?
Nan, les droits sont terminés…

Ils sont partis chez Telltale ?
Ouais, mais c’est surtout qu’on avait traité avec l’auteur. Quand HBO a annoncé sa série, on a fait un petit deal avec eux pour avoir un peu de couverture et utiliser deux ou trois persos de la série, mais on avait déjà pas mal avancé dans le développement et on ne pouvait pas en mettre énormément. Par contre, notre deal s’arrêtait en 2014. Et retraiter avec HBO, ça, non, ça ne m’intéressait pas. C’est une grosse machine et je trouve que ce n’est pas intéressant. Ça l’était beaucoup plus, lorsque c’était uniquement avec l’auteur.

Bon bah c’est dommage. On ne retrouvera pas un nouveau RPG !
Nan. Mais je pense de toute façon que ce que va faire Telltale va être bien.

Pour avoir tâté The Walking Dead, j’ai pas trop de doutes à ce sujet ! Ils ont une sacrée touche quand même…
J’ai bien aimé The Walking Dead et Wolf Among Us. Hier, il y a eu le Tales from the Borderlands qui est sorti. Pour moi, c’est le meilleur des trois pour le moment. J’ai fini l’épisode ce matin d’une traite. Après, c’est plus léger…

Et sinon, au niveau des supports… Puisque les supports des jeux Cyanide sont nombreux, est-ce qu’il y a une préférence ?
PC et consoles Next Gen. PC à la base, parce que la console c’était compliqué pour une boîte de notre taille ; je parle plutôt en terme de budget…

… Parce que sur console, tu es obligé de pré-acheter le nombre de boîtes que tu veux vendre, c’est ça ?
Ouais. Pour les éditeurs c’est compliqué, même si le premier jeu Focus sur consoles, ça doit être nous. Mais maintenant qu’on peut faire du téléchargement sur consoles, sur certains de nos jeux on le fait, sur Styx notamment. Pour Bloodbowl 2 ça va être du retail avec des boîtes.

Parce qu’il y a Games Workshop derrière ?
Il n’y a pas que ça. C’est aussi les attentes de Focus en terme de ventes qui font qu’ils sont prêts à investir dans des boîtes en plus. Mais après, encore une fois, y’a le problème de la découverte du jeu sur ces réseaux console ; c’est un peu comme sur Steam. Je pense quand même que ça va aller en s’améliorant. Moi perso, j’achète plus de jeux en boîte ; j’ai tout en téléchargement. Je n’ai pas d’attachement à la boîte.

Quel serait pour toi l’aspect le plus intéressant dans la conception d’un jeu vidéo ?
Le plus excitant en tout cas, c’est la phase de concept. Le moment où on décide quel genre de jeu on va faire, quels vont être les mécanismes derrière, quels vont être les protagonistes. C’est toujours à ce moment-là qu’on trouve un truc génial et t’es tout excité. Mais après quand tu redescends et que t’es dans le développement… On se dit que c’était une bonne idée sur le papier, mais qu’en fait, ça marche pas trop ! Mais ça reste de loin l’aspect le plus excitant quand on est en tout début de projet, et qu’on se dit tout se qu’on peut faire.

Et dans le cas de licences déjà existantes, au niveau de l’aspect conception, est-ce que c’est beaucoup plus limité ?
Ça dépend du mec qui te laisse la licence. Par exemple au départ, Games Workshop était assez compliqué, mais maintenant qu’ils voient que ça se passe bien, ils nous laissent beaucoup plus de liberté pour faire évoluer la licence ; on a vendu beaucoup plus de Blood Bowl jeu vidéo qu’ils n’ont vendu de Blood Bowl en plateau. On a d’autres licences chez eux d’ailleurs, donc c’est pas anodin. HBO par exemple peut être beaucoup plus chiant sur tout ce qu’on peut faire, même en marketing. Là encore, Games Workshop regarde aussi tout ça, mais il y en a qui peuvent aussi limiter ce que tu peux faire en terme de gameplay.

Ah ouais ?
Ça arrive chez certains. Ça dépend vraiment des licensors. Il me semble qu’à l’époque, Marvel était pas simple…

… et puis avec Disney maintenant, ça ne doit pas être mieux…
Ouais, mais bon, ils ont leurs studios internes.

Sinon, pour une majeure partie des jeux Cyanide, il n’y a jamais vraiment eu de personnalisation de personnage, ou c’était imposé avec un ou plusieurs archétypes. C’est un parti-pris lié à la narration ?
C’est un choix, tout d’abord lié à la narration. Après on pourrait très bien avoir une narration adaptée à différents persos customs, un peu comme le faisait Dragon Age Origins, quand tu commençais l’histoire en tout cas. Sauf qu’on a pas les budgets de Bioware, et c’est un choix qu’il faut qu’on fasse. On préfère sacrifier la custom, que de sacrifier la qualité de la narration. Mais c’est une question qu’on se pose à chaque fois qu’on se lance.

Quelque part, il y a une envie, mais il manque une petite rallonge…
Une grosse rallonge ouais, pour que ce soit bien fait. Je trouve encore une fois que dans Dragon Age, le premier, c’était très bien fait. J’ai dû le faire trois fois avec trois personnages différents pour voir les différentes expériences, mais il y a peu de jeux qui arrivent à le faire. D’un autre côté, est-ce qu’il y a beaucoup de joueurs qui demandent une custom ? Ça se discute. Si tu prends The Witcher par exemple… Donc oui, ça pourrait être intéressant, mais ça nécessite de changer beaucoup de choses, et ça peut complexifier énormément le développement. On a préféré se limiter.

Depuis les débuts du studio, la plupart des jeux ont été marqués par le multi et le online. C’est une volonté affichée d’encourager les interactions entre joueurs ?
Ça a été une ambition dès le départ. Bon déjà, on était une dizaine et on jouait ensemble à des jeux en ligne ou réseau. À l’époque c’était Age of Empire II qui était notre gros jeu du midi. Je pense que c’était un bon choix. Par exemple, sur le jeu de cyclisme, il y avait un autre jeu en parallèle, d’Ubisoft, sauf qu’ils n’avaient pas de multi. Et je pense que ça a fait énormément la différence. Ça a créé une communauté. Blood Bowl ça marche super bien. Chaos League à l’époque aussi ça marchait très bien en multi. Bon après, « bien », y’a toujours des bugs et des mecs qui râlent. Mais on va faire le max sur le multi. À l’époque sur consoles on s’était fait tailler parce qu’il n’y en avait pas ; à moins d’être un très gros développeur, ils t’autorisent pas à avoir des serveurs persistants. Il fallait qu’ils soient chez Microsoft ou Sony. Mais là c’est juste pas possible. Mais là cette fois sur le 2, ça va être persistant sur PS4 et Xbox One, comme sur PC.

C’est moins compliqué à ce niveau-là par rapport à avant ?
Ils sont moins chiants. Mais le succès du 1 fait qu’ils ont un peu plus confiance dans ce qu’on va faire, mais ils peuvent être plus ou moins gentils selon qui tu es…

Sinon, il y a eu Of Orcs and Men. Celui-là je l’avais fait dans la foulée de Game of Thrones.
C’est le même gameplay.

Même si ça a été développé par Spiders, c’était un jeu que Cyanide avait pensé entièrement, de l’univers au gameplay, en passant par les protagonistes. Il y avait vraiment une grosse volonté pour le créer ?
Ce qui était marrant, entre guillemets, c’est que le proto qu’on montrait aux éditeurs avait été développé par Arkane, avant qu’ils soient rachetés par Bethesda et qu’ils fassent Dishonored ; ils avaient un trou dans leur activité. Nous on n’avait pas assez de monde en interne pour le faire avancer. C’était quelque chose auquel on tenait, l’histoire était sympa ; le choix d’être plutôt du côté des orcs que celui des humains. Sans être prétentieux, on voulait donner une version un peu différente…

… Sortir des archétypes.
Ouais. Et on l’avait fait développer par Arkane. Bon par contre, encore une fois, l’univers, je sais pas combien on a de doc là-dessus avec presque rien qui est utilisé au final. Sur Of Orcs and Men, on en utilise une toute petite partie, mais l’univers est assez détaillé : la définition des autres races, etc… C’est quelque chose qu’on voulait pousser. Après, le jeu a marché on va dire moyen, pas suffisamment bien pour son budget. Ça aurait pu être mieux à plein d’égards, mais pour continuer à faire vivre notre propriété intellectuelle on s’est attachés derrière au personnage qui nous semblait plaire aux gens, et qui était sous-exploité dans Of Orcs and Men. Le héros à la base, c’était l’orc.

De la manière dont vous le pensiez à la base, le gameplay était beaucoup plus complexe ?
Oui, dans le proto il y avait plein d’éléments sympas mais c’est des trucs qui marchent bien pour un mini-niveau. Dès qu’il faut le mettre sur un jeu complet, c’est compliqué. Beaucoup trop pour nous actuellement.

C’est ce qui peut expliquer le cheminement d’aller d’un RPG vers un jeu d’infiltration avec Styx ?
Ouais. C’était la frustration de ne pas avoir pu l’intégrer…

… En caricaturant, ça se limitait presque à lancer des couteaux.
Nan mais ouais, tout à fait. Du coup, on s’est dit qu’on allait se concentrer sur lui dans de l’infiltration hardcore. On veut pas faire de l’Assassin’s Creed. Et on trouvait typiquement qu’il n’y en avait pas tant que ça dans l’infiltration pure et dure.

Les derniers, c’était Thief
Je suis un grand fan des premiers Thief.

Et le dernier ?
Beh comme il s’est pas mal fait descendre, je m’attendais à quelque chose de moins bien. J’ai pas trouvé ça exceptionnel, le personnage reste sympa, même si je préfère le Garrett des premiers ; je le trouvais plus caustique, ce qui est un peu ce qu’on a essayé de faire avec Styx. Mais j’ai pas trouvé ça nul. Je pense qu’il s’est fait tailler injustement parce qu’il y avait une attente particulière.

C’est souvent comme ça au final. Et même si c’est dommage, beaucoup de jeux qui sortent actuellement sont d’abord comparés à leurs voisins avant toute chose.
Ouais. Je suis assez d’accord. Y’a un ancien de chez Cyanide qui a bossé sur Thief. Lui, il était déçu parce qu’il voulait faire beaucoup mieux. Mais bon, c’est pas si mal !

Et question totalement hypothétique, si dans le meilleur des mondes Cyanide avait eu le temps et les moyens pour créer Of Orcs and Men en interne, est-ce qu’il aurait été vraiment différent, ou est-ce que ça y ressemblerait pas mal ?
Il y aurait moins l’aspect couloir, et moins l’aspect je cours, je tue un pack de mobs, j’avance, je passe à un autre pack, etc… Il y aurait eu plus de variété, ça c’est clair, ça aurait été moins linéaire, même si l’histoire serait restée semi-linéaire. Mais est-ce que ça aurait été complètement différent, c’est dur à dire… De toute façon, c’est clairement un univers dans lequel on veut revenir. Par exemple, encore une fois, dans Styx, qui marche bien, on peut le voir comme un tremplin ; ça a redonné de la visibilité à Of Orcs and Men, pour derrière refaire un autre épisode. Et on a du monde qui aimerait connaître la suite.

(petit signe de la main)
 (rires) … C’est noté !

Dans Of Orcs and Men, je trouvais le doublage français de Styx absolument génial. J’imagine que c’est pour une question de budget que le doublage du jeu d’infiltration était uniquement en anglais ?
Sur Styx, ce qu’il faut savoir, c’est qu’au moment où on montrait le proto, il n’y avait personne qui accrochait. Aucun éditeur n’accrochait. Je pense qu’on n’a pas réussi à véhiculer ce qu’on voulait faire du jeu. On avait beau dire qu’on voulait faire Thief, mais moderne, avec un gobelin… Déjà, tu dis « gobelin », tu perds la moitié des éditeurs parce qu’il y en a plein qui ne connaissent pas. Après, y’a eu Eidos qui a annoncé le nouveau Thief, et là c’était même plus la peine.

Donc on l’a fait sur nos fonds propres, intégralement quasiment jusqu’à la fin. On a vu avec Focus pour qu’ils le sortent, ce qui était très bien de leur part de nous aider là-dessus. Il se trouvait qu’à un moment, ils ont accroché suffisamment quand on approchait de la fin pour dire en fait « C’est top, vous faites un peu de polish, et c’est bon« . Mais par contre, on n’avait plus de budget pour les voix françaises. Les voix, c’est assez important, surtout qu’au final, il y a pas mal de textes. C’est pas un RPG, mais il y en a pas mal quand même parce qu’on raconte une histoire.

Jehanne Rousseau nous disait que pour les doublages, les USA imposent des standards au niveau des voix. Cyanide passe par le même circuit ?
Ouais c’est vrai. Et ouais on a exactement les mêmes problèmes. Mais si on fait pas ça, c’est se priver d’une partie non-négligeable du marché. Trouver des bons acteurs aussi c’est compliqué. On a du pot, nous, on en a toujours trouvé des pas mal. Mais quand on avait bossé avec James Cosmo, celui qui joue Jeor Mormont dans le Trône de Fer, il est top. On voit que c’est un vrai acteur. La qualité du jeu, elle est exceptionnelle. Des fois finalement, vaut mieux se contenter d’avoir que des voix anglaises bien faites, que de faire des doublages dans toutes les langues ; ça pourrait être mal fait au vu du budget, et on se ferait tailler.

Et au niveau de Cyanide, la France reste un petit marché, ou bien ?
C’est un marché non-négligeable. Ça reste plus important que pour d’autres développeurs qui ne sont pas français. Aussi parce que Focus est français, on est plus facilement suivi par la presse française, et on a une grosse communauté française de base. On gagne plus d’argent à l’étranger hein, mais en proportion, c’est plus important.

Pour revenir sur Styx rapidement, c’était la première fois que Cyanide s’attaquait à de l’infiltration. J’imagine que ça a dû poser quelques challenges en cours de dev’ ?
Le plus gros problème qu’on avait, on était parti sur un jeu d’infiltration, et petit à petit ça dérivait sur un jeu à la Assassin’s Creed, donc il a fallu replacer plusieurs fois le curseur. Sinon, si on avait fait ça, on se serait fait détruire parce qu’on ne pouvait pas faire aussi bien. Surtout, c’était notre premier jeu à gros level design. L’infiltration, c’est essentiellement du level design. Mais on a eu des bons, notamment le lead level designer (Julien Desourteaux) qui a fait un super boulot.

A partir du moment où j’ai dit « bon voilà, je veux un jeu d’infiltration« , il a pris le projet à cœur et sincèrement, il a fait, avec les mecs qui bossent avec lui, du super boulot en terme de level design. Après bien sûr, c’est perfectible ; on nous a reproché « oui, mais on fait plusieurs fois les mêmes niveaux« . Mouais… Effectivement, graphiquement, ça reste les mêmes niveaux, mais on en revient encore une fois au budget. Avoir davantage de structures de salles ou de niveaux, ça aurait été possible. Mais un bon niveau, c’était déjà super compliqué.

Bah c’était surtout de donner la possibilité d’avoir plusieurs chemins.
Ça c’était un élément-clé. On voulait s’assurer que le joueur puisse finir les niveaux de plein de manières différentes, qui lui donne envie éventuellement de les rejouer. Finalement, quand on regarde autrement, avoir les mêmes niveaux au retour permet de découvrir d’autres recoins qu’on n’avait pas vus à l’aller. On voulait vraiment donner une panoplie de possibilités. Mais en terme de tests derrière, c’est super lourd ; en terme d’équilibrage, on ne voulait pas que les joueurs puissent speed rusher un niveau. Y’en a toujours qui vont essayer, mais on voulait que ce soit très compliqué.

Pour changer un peu de sujet, j’avais lu une interview de toi qui date de l’année dernière, où tu enrageais sur les politiques à cause de leur inertie face à l’industrie du jeu vidéo. Est-ce qu’en un an il y a eu des améliorations, dans le sens où il y avait eu une visite de Jean Paul Huchon dans les locaux récemment ? Ou est-ce que c’est surtout cosmétique genre « Bon OK on est passé les voir… Ça c’est fait. Allez, salut ! » ?
C’est un peu dur, mais ouais c’est essentiellement cosmétique. Quand on voit les aides qu’il y a pour le cinéma comparé à celles pour le jeu vidéo, c’est ridicule… Ridicule.

C’est via le CNC ?
Ouais, mais je parle en proportion hein (rires). Si on en est à 10 %… C’est ridicule. Bien sûr, c’est pas la fonction principale à la base du CNC, mais on s’exporte beaucoup plus que les films français. L’argent ne va pas essentiellement à des acteurs qui ont des cachets monstrueux ; ça fait vivre plein de gens qui ont des salaires « normaux ». C’est un domaine super technique, mais en même temps super créatif par rapport au cinéma en France, actuellement en tout cas. Donc ouais, ça mériterait d’être plus aidé. À côté de ça, y’a des SOFICA ; globalement, c’est des gens riches qui vont investir dans des productions de films pour être défiscalisés. Je vois pas pourquoi ça ne pourrait pas se faire dans le domaine du jeu vidéo.

À part le CNC, il n’y a rien ?
Si, il y a quand même le crédit d’impôt jeux video qui aide, qui a clairement ses limites, mais qui s’est amélioré. Y’a un certain nombre de critères : artistique parce que c’est culturel, narratif, technologique… Il faut aussi que le gros de tes dépenses soient faites en France et dans les métiers artistiques. Enfin bref, plein de critères, difficiles à remplir et pas forcément jugés par des gens qui sont joueurs.

Ce qui est complètement dommage en soi…
Ce qui est très dommage en effet. Après si on leur en parle, ils vont dire qu’ils savent de quoi ils parlent… L’autre grosse limite, c’est qu’on ne pouvait pas avoir de jeu 18+, parce que pour nos chers politiques, un jeu 18+ c’est un jeu porno. On a beau leur dire « Bah non y’a pas de porno dans le jeu vidéo« , à part éventuellement dans les sous-sols des magasins japonais… En Europe, les jeux pornos, j’aimerais bien qu’on me les montre (rires). Alors est-ce que c’est plus violent que certains films ou séries qui sont juste interdits aux moins de 13 ans ? Bon, toujours est-il que ça c’était comme ça, et que ça a changé et on a le droit d’avoir des jeux qui sont 18+.

Du coup, ils vont juste regarder le pourquoi du comment du 18+ ?
Ils sont censés regarder, mais faut pas que ça aille trop loin dans la violence. Quant au porno, on sait que y’en aura pas, donc… Mais voilà, au début, ça limitait énormément ce qu’on pouvait faire. On se retrouvait à faire deux versions du jeu…

… De l’aseptiser pour que ça puisse passer, quitte à refaire une version alternative plus tard ?
Ouais. On n’a pas le choix parce que c’est le seul avantage qu’on a, on va dire compétitif, par rapport à d’autres pays comme notamment le Canada. Le crédit d’impôt au Canada, il est super facile à obtenir. Après, je peux comprendre qu’il y a l’histoire de l’exception culturelle, mais bon…

Mais alors, développer des jeux vidéo en France, c’est pas viable ?
C’est compliqué. Et je pense qu’on ne peut pas être une grosse structure de fou en France. Si on est un studio indépendant, c’est pas possible. Notre plus gros problème, et c’est pas pour faire mon gros capitaliste, si on peut on embauche en CDI, mais quand on a des creux d’activité (même si on a plusieurs projets simultanés), si t’as 50 mecs entre deux sorties où tu sais pas quoi en faire, ben t’es mort en 3 mois. C’est compliqué en France de ne pas pouvoir faire monter et descendre sa masse salariale… On est 75 ici et une vingtaine à Montréal, mais là-bas on a l’avantage de pouvoir se séparer de quelqu’un du jour au lendemain. Et ça marche aussi pour le salarié. S’il a envie de partir du jour au lendemain, il peut.

Du coup, Cyanide en France fait appel à des Freelances ?
De temps en temps ouais. Si on peut, on évite, mais sur certains métiers, on est obligé.

Typiquement, sur quels genres de métiers ?
Artistes, typiquement, car tu n’en a pas besoin en permanence ; surtout au début. Les levels designers, quand on a fini Styx, on en avait plein. Et là faut vite qu’on relance quelque chose et faut vite qu’on trouve un moyen, parce qu’il faut bien les payer. Ce qui fait que plus que de virer des gens ou pas, c’est de réfléchir à comment on va faire le projet, et avec combien de gens réellement.

Mais c’est moins galère qu’au début ? Ou c’est pire parce que t’es passé de 10 personnes à 75 ?
C’est pareil. Ce qui est galère, c’est l’autre truc lié aux lois françaises. Plus t’es gros, plus on te taxe. Sincèrement, entre une boîte de 40 personnes, et une boîte de 80, t’as plus de taxes, mais au final c’est à peu près la même boîte et tu ne génères pas plus d’argent. Quand tu passes les 50, t’as un certain nombre de taux qui augmentent.

Et j’imagine qu’à Montréal ça se passe mieux ?
À ce niveau-là, ça se passe nettement mieux. On ne se pose pas la question quand on doit embaucher quelqu’un. Mais ils sont indépendants. Ils font leurs trucs dans leur coin. Ils avaient fait le Game of Thrones : Genesis. Ils ont fait un truc pour Paradox qui s’appelait Impire. Ils vont bosser sur d’autres prochainement, mais ils ne sont pas super nombreux non plus.

T’es également le président de Capital Games. Rapidement, tu peux expliquer son rôle ?
C’est une association d’indépendants, à la base Franciliens. Le but c’est d’aider les boîtes à se financer plus facilement, pour mieux se former, tout ce qui peut aider les boîtes à se développer. Par exemple au niveau des formations, y’a tout un plan de formation qui est aidé par l’État. Ça peut être de l’anglais, des techniques de management, etc… Capital Games va sélectionner des formations en fonction des besoins. Et à ce niveau, y’a une sorte de mutualisation des ressources financières pour être redistribuées plus ou moins équitablement.

Il y en a certains qui ne cotisent pas faute de moyens, mais qui peuvent quand même en bénéficier. Les boîtes de moins de dix personnes, typiquement. Au-delà de ça, ça permet de rencontrer du monde, de causer d’export ; c’est déjà arrivé que Capital Games finance une partie des frais de salon de certains studios qui vont à l’étranger. C’est pas un gros budget hein, mais c’est déjà ça. À terme, ce qu’on essaye de faire, c’est de monter un fonds de production qui là financerait certains productions de jeux.

Il aurait un rôle d’éditeur ?
Non, producteur, pas éditeur. Derrière il faudrait un éditeur, ou alors ça pourrait être auto-édité, mais l’objectif, c’est de ramener du financement aux studios. Mais maintenant faut trouver les fonds à mettre dedans ! (rires)

Tu m’as dit tout à l’heure que tu préfères travailler avec un éditeur plutôt que de t’auto-financer ?
C’est plus simple. Maintenant, on a tendance à être co-prod’ avec l’éditeur ; on lui demande pas de financer intégralement le dev’. Avec Focus, y’a jamais vraiment eu de problème. Mais on touche un plus gros pourcentage des ventes parce qu’on prend un plus gros risque aussi. Ça change un peu notre vision. On est même en co-prod’ pour des jeux qui ne sont pas développés chez nous, qui sont développés avec Focus comme éditeur pour la partie marketing.

Et ta vision du crowfunding ?
Je pense que la fenêtre d’opportunité est passée. Elle a duré 2-3 ans, pis y’a eu certains échecs. Je pense que c’est compliqué de lever beaucoup d’argent, à moins d’avoir un très gros nom ou une très grosse propriété intellectuelle derrière. Je pense qu’il y a 2-3 licences, s’ils faisaient un kickstarter, ils lèveraient beaucoup d’argent, mais y’en a pas beaucoup. Pour nous, je pense que ça peut pas marcher. Enfin, à ce stade j’y crois pas.

Par exemple, Star Citizen, c’est quand même hallucinant le pognon qu’ils ont réussi à récolter…
… C’est monstrueux. Autant, c’est hallucinant.

Ce genre de projet peut aussi truster pas mal d’autres développements…
Ouais je suis d’accord. J’ai du mal à comprendre.

Sinon, j’avais quelques petites questions de lecteurs par rapport à Blood Bowl 2 puisqu’on a une petite communauté qui s’y intéresse par chez nous. Qu’est-ce qu’apportera Blood Bowl 2 par rapport au premier opus ?
Ça dépend le type de joueur qu’on est. Déjà il y a une campagne solo beaucoup plus développée, plus scénarisée. Typiquement, je ne suis pas dans le type de joueur qui est très intéressé par la campagne. Sinon, il y a beaucoup plus d’outils de customisation de ligue, et ça c’est super important. On a aussi pas mal changé tout ce qui est moteur graphique, l’ergonomie ça devrait être beaucoup plus simple normalement.

Simple dans quel sens ?
On devrait moins lutter à comprendre ce qu’il se passe et comment faire une action pour certains.

Sans simplifier les mécanismes donc ?
Ah non, on en a même rajouté. On a beaucoup amélioré l’IA, ou en tout cas on espère ! (rires) Encore une fois, ya beaucoup plus de mécanismes, de ligues, une plus grande personnalisation de ta personne en tant que coach  où tu gagnes de l’expérience qui te permet d’acheter différentes choses. C’est plein de petits ajouts à droite à gauche…

Et y’a eu une influence par d’autres jeux ? Je pensais au jeu de basket sorti la semaine dernière, qui lui fait dans la gestion d’équipe…
Ah ouais c’est pas lié à ça, mais y’a une place de marché de transfert de joueurs, un système de vieillissement des joueurs. C’est pas du tout dans l’esprit de Blood Bowl donc on risque d’avoir des mecs qui vont râler, mais c’est un choix qu’on voulait proposer. Si tu fais monter un joueur en expérience, tu peux aller sur le marché public pour qu’un autre joueur l’achète. C’est typiquement un truc de management, que tu peux avoir dans les jeux de management sportifs, que tu vas retrouver dans Blood Bowl 2. Effectivement, on voulait se rapprocher d’un jeu de management sportif à ce niveau-là.

Et pourquoi avoir fait le choix de modifier le nombre d’équipes qui sera de 8, mais qui était de 23 dans le premier opus ?
Même chose que quand on a sorti le premier. Ça arrivera au fur et à mesure. C’est pas compliqué ; 23 races à produire, c’est énorme, sans parler du fait que ça coûte une fortune, c’est énormément de temps à modéliser / rentrer dans le jeu, puisque chacun à son propre style… C’est une IA, etc… Si c’était facile, on l’aurait fait direct. Mais par contre, y’a une race, les Bretoniens, elle n’existait pas dans Bloodbowl 1, parce que c’est un truc que Games Workshop nous autorise maintenant.

C’est une race qui n’était pas complètement officialisée. Et à terme, il y aura probablement plus que les 23 races. C’est un autre objectif. Mais j’insiste, c’est quand même pas donné de faire une race ; c’est déjà un gros investissement pour nous, surtout avec la partie customisation des persos. C’est colossal comme boulot, et je ne pense pas qu’il y a beaucoup de jeux qui proposent 8 races à leur sortie, alors que pour nous, c’était le minimum.

On peut avoir une date de sortie approximative ?
Actuellement, ça doit être avril ou mai 2015, mais là c’est quasi en phase finale normalement. On avait pris du retard à cause des consoles, on fait encore beaucoup de polish parce que y’a plein de trucs qui n’étaient pas parfait. On aimerait que le jeu soit propre.

Mis à part Blood Bowl 2, c’est quoi les autres jeux en cours de dev’ ?
On est encore tôt dans le développement, mais on a un RPG. On en aura même deux probablement. Pas dans des univers d’heroic fantasy. Le premier c’est une licence propre qu’on souhaiterait développer, et on va dire que c’est plutôt historico-fantastique. Et la manière dont c’est conceptualisé chez nous, c’est qu’il y aurait cinq jeux qui expliquent ce qui se passe à différentes périodes. Mais on est encore très très très tôt dans le dev’. Là on a un proto qui nous satisfait pas encore entièrement à tous les niveaux. Je pense que sur l’histoire et les persos on est nickel. Mais certaines fonctionnalités RPG restent encore à creuser pour que ça ne tombe pas uniquement dans un jeu d’aventure.

On a plus qu’à attendre un p’tit peu !
… Ouais, tu vas pouvoir bien patienter je pense (rires).

Un petit mot pour nos lecteurs avant qu’on se sépare ?
Pour ceux qui n’ont pas joué au Trône de Fer, essayez-le ! L’histoire vaut le détour, c’est un bon p’tit RPG et il y a quatre fins qui valent le coup. La première note qu’on s’est tapé d’IGN était mauvaise, et ça en a pas mal influencé d’autres.

Merci de m’avoir reçu et on va guetter les infos sur ce mystérieux RPG ! @ bientôt Patrick !

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A propos de l'auteur : Toupilitou

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