Resident Evil VII : Une tronçonneuse Texane dans le Bayou

Resident Evil VII : Une tronçonneuse Texane dans le Bayou

Il est sans doute préférable d’avoir fini le jeu avant de lire cet article.

 

Il s’en est fallu de peu pour que Resident Evil VII soit le jeu parfait qu’il n’est pas. La faute, tout d’abord, à une technique complètement à la ramasse, accumulant des textures baveuses et placardant sans pudeur des pixels aussi énormes qu’un open world d’Ubisoft peut être vide. Ensuite, sa rupture soudaine de ton aux deux tiers du jeu le handicape sérieusement, faisant de lui un ventre mou sans inspiration qui a la fâcheuse tendance à sombrer dans la facilité et dans l’autoréférentiel. Or, quand Resident Evil VII cite les précédents jeux de la série, il commet l’erreur de revenir en arrière au moment même où il se décide à faire table rase du passé : en flagrant délit de contradiction, il prouve qu’il n’a pas atteint la maturité suffisante pour s’affranchir de codes et de contenus narratifs indigestes. En revanche, Resident Evil VII peut se targuer d’avoir tout compris à l’horreur cinématographique en livrant une véritable lettre d’amour aux amoureux du genre : les références sont nombreuses et particulièrement bien mises en valeur. Leur traduction en termes de gameplay est parfaitement ciselée, prouvant que les développeurs ont tout compris aux mécanismes de la peur. Et bordel, ça m’a fait peur.

 

Massacre à la Tronçonneuse, de Tobe Hooper – 1974

La référence la plus riche du jeu, la plus visible, et la mieux assimilée est bien celle-ci. La décoration de la maison des Baxter, sorte de D&Co à la sauce Ed Gein, est en totale osmose avec les codes du chef-d’œuvre de Hooper : délabrement, pourriture, sang séché, viande avariée… Que du bonheur. On soulignera en début de partie une séquence de repas familial qui cite ouvertement celle du film de 1974 : la folie psychologique en moins, mais on flotte en plein cauchemar éveillé. Le cannibalisme, même s’il s’agit d’une évidence, est également de la partie et l’instrument de prédilection de Leatherface fera son apparition lors d’un combat de boss qui tranche dans le vif. Mais que serait un bon vieux Massacre à la Tronçonneuse sans son aîné infirme et amorphe, geignant comme un zombi dans son fauteuil roulant… Les références sont donc plurielles, toujours bien adaptées à la situation et aux événements, et respectueuses de l’œuvre originale.

 

[REC], de Plaza & Balaguero – 2007

Ah, le found footage, ce procédé merdique qui nous a valu des containers entiers de merdes intersidérales… mais aussi une poignée de grands films de genre ! Dans le cas de Resident Evil VII, on citera bien entendu la bombe de Plaza et Balaguero, qui ont réussi à proposer un VRAI found footage efficace, claustro, et percutant (et diabolique dans sa dernière bobine). L’unité de lieu et les fuites en avant que le gameplay impose, entre deux séquences où l’on avance à tâtons, sont un formidable clin d’œil à [REC]. C’est le film de cette catégorie qui se rapproche le plus de ce que le jeu peut délivrer en terme d’adrénaline et de tension. En effet, en invitant le joueur à visionner de vieilles VHS éparpillées dans les niveaux, Capcom a su trouver une bonne façon de faire parcourir deux fois les mêmes niveaux aux joueurs en modifiant sensiblement le gameplay (inventaire, apparition des ennemis, scénarisation…). Un artifice ingénieux pour rentabiliser des niveaux très bien construits au demeurant. La mise en abyme que le procédé induit approfondit un peu plus le cœur du jeu dans sa façon d’impliquer le joueur dans des événements qui ne le concernent pas de prime abord. Malin, très malin.

 

Saw, de James Wan – 2004

Bah justement, à propos de séquences VHS que l’on parcourt deux fois (une fois via cette fameuse vidéo trouvée en phase d’exploration, une seconde fois directement avec le héros), une d’entre elles sort clairement du lot, qu’il s’agisse de sadisme ou de citation. Piégé dans une série de pièces apparemment sans lien les unes avec les autres, le prisonnier se voit confié une mission par son tortionnaire (allumer une bougie sur un gâteau d’anniversaire). Chaque détail vient mettre en lumière la référence appuyée à Saw : un automate tétanisant, un piège sadique qui se referme petit à petit, un tortionnaire qui se réjouit à l’idée de nous voir échouer, des sévices surprenants et glaçants… Bel hommage à Jigsaw et à ses mises en scène macabres : c’est net, bien branlé, et hyper respectueux.

 

Feast, de John Gulager – 2005

Voilà une citation très subjective (pas sûr que les développeurs y fassent vraiment référence) mais que je n’arrive pas à écarter malgré tout. Le creature design du jeu fait la part belle à des monstres dont les têtes (et plus précisément les gueules) ressemblent énormément à celles des créatures que l’on aperçoit dans Feast. Référence ou pas, il m’était impossible de jouer sans me dire, au détour d’une rencontre malheureuse, « Tiens, comme dans Feast ».

 

Autres mentions

Enfin, je me dois de citer pêle-mêle tous les films qui, de près ou de loin, semblent avoir inspiré les développeurs de Resident Evil VII.

Un cri dans l’océan, série B hautement recommandable de Stephen Sommers (1998) m’a bien entendu sauté aux yeux dans son aspect WTF : le dernier tiers du jeu, dans le cargo, semble entretenir un lien de parenté assez évident, mais le combat final a fini d’enfoncer le clou. La créature gigantesque (au demeurant très « resident evilesque ») que l’on rencontre plusieurs fois n’est pas sans rappeler l’espèce de pieuvre-démon-serpent marin sauce Cthulhu du film.

Dans la catégorie véhicule, on peut citer à la fois le Massacre à la Tronçonneuse de Marcus Nispel  (2003) et La Colline a des Yeux (1977 ou son remake) : transformer une caravane de redneck en lieu de sauvegarde était malin, et permet d’appuyer encore un peu plus l’héritage cinématographique que le jeu entretient avec le cinéma de genre. C’est souvent dans le traitement des détails que Resident Evil VII se montre le plus malin et le plus studieux dans son rapport au VIIème art. Tiens, tiens, un chiffre intéressant…

En citant des films avec des dégénérés isolés en pleine campagne, il m’est difficile de passer à côté du traumatisant Delivrance de John Boorman (1972). Monument du survival, un genre qu’il a tout simplement créé, Delivrance glace le sang en plaçant des citadins au cœur d’une nature hostile, dangereuse et terrifiante, au sein de laquelle ils ne sont pas les bienvenus.

Il serait indélicat de ne pas non plus citer Ring de Hideo Nakata (1998), surtout si l’on se replonge dans le cas de ces VHS trouvées dans le jeu. Pas de spectre s’échappant de l’écran dans le jeu de Capcom, mais un rapport de terreur liant une cassette maudite à son spectateur : une thématique centrale très bien soulignée par un gameplay qui a décidément tout compris.

Oh et puis zut : Détour Mortel, Rob Schmidt (2003). Même délire : des citadins qui n’ont rien à faire au sein d’une nature qui leur est hostile, des bouseux consanguins bien frappadingues, du gore qui tache, de la survie…

 

Resident Evil VII n’est pas un jeu qui perd sa saveur pour le profane en cinéma de genre, qui risquerait de passer à côtés de nombreux clins d’œil, voire de gros signes de tête insistants avec néons clignotants et tout le toutim. Non, le jeu sait proposer une expérience exceptionnelle en termes d’ambiance et de gameplay, mais pêche sérieusement dans sa narration et sa réalisation. L’histoire d’amour qui lie la saga Resident Evil au cinéma est faite de crises, de ruptures, de passions. C’est une valse incessante où l’un et l’autre se renvoient régulièrement la politesse, d’emprunts discrets en citations grossières. Hélas, les versions cinéma (enfin, DTV hein) de la série de Capcom ont sombré dans la caricature, alors que le cinéma continue d’emprunter çà et là aux jeux. Pour une série de jeux qui doit tant au septième art, cette dernière itération est une belle déclaration d’amour, un baiser délicat posé sur la main du fan d’horreur filmique. Un juste retour des choses. C’est beau l’amour.

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A propos de l'auteur : Etienne Navarre

Joueur insatiable, rédacteur passionné, génie séducteur : le monde a besoin d'Etienne Navarre.

Un commentaire sur “Resident Evil VII : Une tronçonneuse Texane dans le Bayou”

  1. Toupilitou dit :

    Je ne suis ni intéressé par les survival horror, ni par les films du genre. Toutefois, il est clair que si d’aventure j’aurais aimé ce genre de jeux, je n’aurais absolument pas capté toutes les références. Et je ne pensais pas non plus que les ressemblances seraient aussi frappantes (… ni aussi nombreuses).
    Quoi qu’il en soit, hâte de lire un autre texte de ce style ; le néophyte que je suis a trouvé ça vachement captivant !


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