Styx : Shards Of Darkness

Styx : Shards Of Darkness

Version presse Xbox One fournie par Focus Home Interactive

 

Je me suis mis à le penser en voyant l’état actuel de l’industrie du jeu vidéo – qui se réveille petit-à-petit malgré tout. Focus Home Interactive, c’est un peu l’oasis que l’on n’espère plus trop en cette époque. Soutenant de nombreuses nouvelles licences, visant clairement un public plus hardcore que la moyenne des éditeurs, cette boîte française continue de grandir et de faire grandir ses studios au point que, aujourd’hui, on commence petit-à-petit à voir les productions Focus disposer d’une nouvelle visibilité. Styx : Master Of Shadows ressemblait à une expérimentation du studio désormais vétéran de Cyanide. Autant un essai qu’une tentative de revitaliser et garantir un avenir à l’univers de Of Orcs And Men, le succès inespéré de ce « petit  » qui avait tout d’un grand – comme un certain Torchlight à son époque – donna naissance à cette suite très attendue, car vous savez déjà tout le bien que je pense de Styx premier du nom. Sortant un 14 Mars, mois incroyablement riche et rassurant pour l’industrie (… Horizon : Zero Dawn, Zelda : Breath of the Wild, Nier Automata, Mass Effect Andromeda…) Styx : Shards Of Darkness sortira probablement son épingle du jeu et pourra peut-être même, s’il y a une justice, s’imposer comme une nouvelle référence. Même si cette phrase fera grincer des dents, elle reste tout ce que j’en pense : le 14 Mars, c’est le jour où le gobo a égorgé Corvo.

 

Garett, hein ? Il l’a pas volé celle là !

Le gobelin signe son retour dans l’irrévérence la plus totale, et se rit complètement du quatrième mur ou même du sérieux de son scénario. Petit bol d’air frais pas si éloigné d’un Deadpool, le gobelin sans équivalent revient tout droit de sa dernière aventure, encore plus grinçant, toujours plus cynique, et cette fois sans dilemme mental. Au top de sa forme, Styx délivre un flot de punchlines sans pauses afin de toujours créer le sourire chez le joueur, ce qui peut marcher à l’occasion de quelques répliques bien senties (… on est chez Cyanide ; c’est pas des bleus), mais aussi des répliques remplissages, voire d’un humour assez gênant qui saura plaire aux plus étranges d’entre nous, bien qu’il alourdisse le propos à bien des occasions.

Ce problème qui pourrait encore passer si le jeu n’en présentait pas d’autres, s’accompagne pourtant comme je l’ai dit d’une écriture assez solide, comme on a l’habitude avec ce studio. Cette écriture ne colle pourtant pas à un scénario volontairement effacé, afin de laisser le joueur faire ses petites affaires sur des niveaux brillamment bâtis – mais j’en parlerai après – tout en surprenant par rapport au premier opus qui mettait pas mal en avant son scénario malgré tout. Mais le principal reproche que j’ai à faire vis-à-vis du titre ici présent, c’est la narration. Parfois, après une cinématique fort bien réalisée, eh bah… eh bah, démerdes toi avec les trous, mon pote.

Personnages qui disparaissent après une cinématique alors que le personnage apprenait juste son objectif, téléportation d’un point à un autre sous prétexte que le héros demande à être emmené sur un balcon avec un sourire… Enfin, on comprend ce qu’il se passe entre les deux, mais quand même, c’est vague. C’est d’autant plus détonnant et déconnant qu’on sent que Cyanide a voulu soigner ses cinématiques – qui sont globalement d’un très gros cran au-dessus de celles de Styx : Master Of Shadows. C’est ici le plus gros reproche, car l’histoire, bien qu’effacée, continue d’étoffer suffisamment l’univers de Of Orcs And Men pour garder l’intérêt du joueur, et commence même à amorcer l’histoire commune d’Arkhaïl et Styx, bien que l’on sente – après un final très expédié, quoi qu’on en dise – qu’il reste une petite place à une autre suite.

Les aventures de Styx en solo commencent sérieusement à ressembler à une prélogie, une manière comme une autre d’aborder le scénario déjà existant de Of Orcs And Men avec un regard neuf et de comprendre qui est ce petit gobelin (… pléonasme: check). Bien que la toile de fond évolue sans que l’on ait le sentiment d’y avoir un très grand impact, c’est aussi la grande force de l’histoire de cet opus ; maître des ombres, Styx ne se mêle qu’indirectement à des événements qui conduiront à la situation initiale de Of Orcs And Men, et tout cela sans trop s’avérer intrusif dans le gameplay. On regrettera sans doute l’absence de twist qui retourne le crâne comme dans le premier opus, mais il y a aussi ici une petite révélation sympathique qui nous fera regarder les choses différemment.

 

J’ai une idée : je viens chez toi, c’est moi qui prend la manette, et c’est toi qui meurt, douloureusement

Niveau jeu, Styx : Shards Of Darkness joue la carte du conservatisme, et Marcheur grince des dents… avant d’admettre que des changements profonds dans le level design, ainsi qu’une intégration malicieuse de chaque nouvelle mécanique, changent la donne et transforment le 1.5 en suite mature. Pourtant, sur la forme, je pourrais vous décrire le premier et le second opus de la même manière : un jeu d’infiltration, basant son intérêt sur la fragilité et la taille réduite de son protagoniste, dans des niveaux très verticaux. Maintenant, dans les faits et dans l’exécution, nous ne sommes plus cantonnés dans une gigantesque tour, mais nous voyageons bien à quelques lieues d’un monde qui dessine gentiment son étendue dans cet opus. Et s’il y a bien des retours dans des zones déjà explorées, on ne tique plus autant que le précédent, car il n’est plus question de faire un niveau à l’endroit puis à l’envers, mais bien de débloquer de nouveaux lieux pour redonner de l’intérêt à l’exploration, ainsi qu’à l’expérimentation.

Car oui, dans ce second opus, la construction en étage reste intacte, mais est bien plus étendue. S’il serait stupide de donner un chiffre pour quantifier ce que je ne sais pas, je dirais que les espaces sont au moins doublés dans la grande majorité des cas, beaucoup plus variés dans leurs constructions, et surtout, plus nombreux. Styx joue d’ailleurs la carte des petits espaces interconnectés qui finissent par créer de grands labyrinthes cohérents, dans lesquels on expérimente une formule qui ne change fondamentalement que peu. Néanmoins, une suite de corrections et d’ajouts, que l’on conjugue avec un level design diablement abouti, font de cette suite une grande réussite sur le plan ludique. Les approches létales et non-létales, furtives et non-furtives, opportunistes ou pas, sont bien plus abouties que par le passé. Les idées du premier opus trouvent ici l’occasion de s’exprimer à leur plein potentiel : empoisonner la nourriture, l’eau, faire tomber un lustre sur ses ennemis, les pousser dans le vide… Tout cela, nous le connaissions déjà, ainsi que les pouvoirs qui signent ici leur retour : clonage, vision d’ambre, et invisibilité. Fainéantise, pourrait-on craindre et croire ? Non, car les pouvoirs sont désormais accompagnés d’arbre de compétences propre à chacun, modifiant sensiblement les possibilités ; on peut désormais se téléporter sur un clone déjà créé, s’en servir comme point de sauvegarde en cas de mort, voire lui permettre de devenir un clone parfait si l’on joue en coopération…

Mais, à ces éléments déjà connus bien que revisités, on ajoute des nouveautés bienvenues : la mine qui permet de se défaire des adversaires imprudents, le crochet qui vient crédibiliser l’ouverture de certaines serrures, la pointe toxique qui permet de tuer lentement sa cible, la possibilité de s’accrocher bien plus facilement au rebord sans chuter (… merci !), des tyroliennes ainsi que des cordes sur lesquelles on se balance. La plus grande crainte que l’on pouvait avoir est que le challenge prenne un méchant coup après tout ça. Le fait est que non ; avec de nouveaux adversaires bien retords (… le troll, deux boss assez contraignants à affronter, des espèces de grosses abeilles qui tirent de l’acide, un nouveau type de cabysse, des œufs qui produisent – lorsque vous vous trouvez à proximité – des créatures qui vous éclatent à la tronche). Il y a aussi davantage de variété au sein des factions. On pourra rencontrer des nains qui nous repèrent facilement à l’odeur lorsque l’on se trouve proche d’eux (… vous laissez une traînée odorante qui pourra éveiller leurs soupçons), des elfes sensibles à nos sons, et des humains… des humains. Au sein de ces factions, on trouvera des gardes avec des capacités et un équipement différents, qui finiront de vous faire comprendre que, oui, Styx : Shards Of Darkness a un bestiaire complet. Bien plus complet qu’un certain… je sais pas moi, peut-être un truc comme le dernier déshonoré de Balzac ?

Bien sûr, tout ne roule pas comme sur des roulettes ; on pourra parler d’un système d’alchimie qui déséquilibre selon moi un peu trop le jeu (… même si bien intégré, la rareté des potions et équipements du premier opus participe à son charme), d’une IA qui est franchement « gueuuuuuh  » et qui peut surprendre par rapport au premier opus. On peut aussi dire que – même s’il y a du mieux – les sauts sont toujours imprécis, même si, paradoxalement, c’est un vrai plaisir de grimper dans Styx, tout comme c’est un vrai plaisir de se faufiler sous les tables pour trancher gentiment la gorge d’un ennemi. On fera aussi face à quelques soucis de collision qui font tâche, un pathfinding qui peine par rapport au premier opus (… genre, pourquoi ?), même si le plus grand nombre d’ennemis présent peut donner une idée.

Maintenant, passons aux mentions honorables : visuellement, le jeu n’est pas surchargé et on identifie bien ce qui sert à quoi, et on n’a pas l’impression d’avoir trois cent mille trucs qui servent à faire joli en cachant le principal (… hein Mankind Divided et tes environnements baroques, pour être poli ?), la possibilité de faire une sauvegarde rapide depuis la flèche droite de la manette (… merci !), une commande de chargement qui fonctionne bien (… ça change.) On pourra aussi citer, et c’est sacrément appréciable, que le jeu ne se perd pas trop en collectibles, et que ceux-ci sont plutôt amusants à chercher, que les objectifs secondaires apportent vraiment quelque chose à l’expérience. Mais surtout, la variété de cette expérience, où, sans casser fondamentalement sa boucle de gameplay, Styx: Shards of Darkness se fend de quelques phases d’énigmes sans en abuser. Le tout tient sur une douzaine d’heures pour un run sans trop s’attarder, mais une bonne quinzaine pour une partie plus complète, et certainement le double pour s’assurer que le jeu n’a plus de secrets pour vous. Et si cela vous amuse, vous pouvez faire du score à loisir en obtenant l’or dans chaque défi de chaque mission:  ne tuer personne, ne pas se faire repérer, voler tous les collectibles, et finir la mission avant le temps imparti.

 

J’ai lu le scénario, et je sais que l’on va passer ce moment, c’est juste une question de temps

Maintenant venons en à ce qui m’a surpris. Styx : Shards Of Darkness marque le passage de la série à un vrai moteur nouvelle génération, avec un Unreal Engine 4 proposant des modélisations plus fines (… c’est fini les visages immondes du premier opus), des environnements plus grands, et des effets plus aboutis. On pourra regretter quelques textures bien dégueulasses, un retard d’affichage qui a le bon goût de ne pas rappeler les pires heures de notre histoire (… Alpha Protocol, oui-oui, c’est de toi qu’on parle) mais qui reste quand même perfectible, ainsi que des temps de chargement qui sont très longs pour charger un niveau… tout en étant très courts pour charger une partie. Tant mieux. Enfin, ce Styx arrive à tenir tête à quelques triple A grâce à son rendu faisant enfin « jeu de la génération actuelle  » , et on peut l’en féliciter, même s’il reste tout-à-fait possible de faire mieux… surtout pour la fluidité, qui prend un sacré coup sur la version Xbox One ici testée, où deux niveaux particuliers subissent quelques méchantes chutes de framerate pas jolies.

Mais bon, l’ensemble est beaucoup plus varié que par le passé, confirmant que Cyanide voulait absolument libérer Styx de son principal démon. Le jeu n’oublie toujours pas de mettre en avant un grand contraste entre la taille réduite de notre protagoniste et l’immensité de son environnement. Un contraste que le jeu soutient aussi par deux combats de boss, permettant à Cyanide de s’essayer au grand spectacle. Si le premier arrive à produire quelque chose de pas trop mauvais, le dernier adversaire est vraiment ridicule et ressemble beaucoup à ce que Risen 3 avait essayé avec ses batailles navales. Difficile d’être enthousiaste sur des combats de boss plus que hors-propos dans Styx. Pourtant, le titre porte avec lui une grosse poignée de panoramas saisissants, avec une belle distance d’affichage, permettant au jeu de compenser un léger retrait technique sur d’autres productions plus clinquantes. Néanmoins, elle est beaucoup moins sensible à l’effet que peut donner un bref regard jeté depuis une tour sur le chemin parcouru, et se surprendre à voir au loin un garde, que l’on avait feinté il y a un quart d’heure de cela, continuer de faire sa ronde.

Esthétiquement, Cyanide s’en est donné à cœur joie, et la variété des environnements rejoint la qualité du visuel, avec des palettes de couleurs plus variées, des lieux plus détaillés – sans déranger mon œil assez sensible aux détails jugés superflus, beaucoup de vie, beaucoup de personnages qui se parlent, pas mal de réactions à vos actions aussi ; un garde ne réagit pas de la même manière en voyant un de ses camarades mort empoissonné qu’un autre retrouvé égorgé. Globalement, le doublage – uniquement en anglais cette fois encore – fait un joli travail, même si on rêverait de voir Styx retrouver sa voix française. Il faut bien avouer que l’acteur anglophone campe toujours aussi bien son rôle. Les bruitages sont une nouvelle fois assez efficaces, bien que la spatialisation soit perfectible ; elle n’atteint pas les problèmes rencontrés dans… un désodorisant 2 par exemple. Petit bémol : toujours assez discrète, il est malheureux de constater que la bande son de ce second épisode n’envoie toujours pas autant de rêves que le travail de Derivière sur Of Orcs And MenHenri-Pierre Pellegrin continue donc son travail et a l’air de vouloir créer une identité à sa musique, mais n’y arrive pas tout à fait avec une grande majorité de compositions que l’on oublie.

 

L’enfant terrible de Cyanide a beaucoup pris à Thief et à d’autres, pour accoucher d’une formule diablement aboutie, dont on redemanderait encore du rab, si l’on oubliait qu’il n’y a certainement plus grand chose à faire de plus. Travaillant les réussites de son prédécesseur, et enrichissant son expérience avec juste ce qu’il faut de mécaniques neuves, Styx : Shards of Darkness est une expérience très équilibrée, qui réussi à s’avérer satisfaisant pour celui qui a déjà joué au premier opus. D’ailleurs, il arrive aussi à éclipser totalement son prédécesseur, au risque de rendre celui-ci obsolète. Maintenant, le plus triste est de se dire qu’il n’y a plus grand chose à ajouter dans la recette tant on est satisfait par le résultat. On pourra lui reprocher quelques imprécisions, quelques problèmes techniques, ou même de ne rien révolutionner. Reste que Styx n’a pas perdu de son mordant, de son exigence, et qu’il est désormais ma plus chaude recommandation en terme de jeux d’infiltration sur cette génération. Il ne nous reste plus qu’à espérer que Cyanide, à l’avenir, préfèrera se pencher sur un nouvel Of Orcs And Men, au lieu de rempiler pour un troisième Styx. Il serait dommage de ternir l’aura de la série par l’épisode de trop.

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A propos de l'auteur : Marcheur

Enfant attardé de Kreia et d’Alfred de Musset. Pense que tout est narration, et répète sans cesse qu’il donne tout en dansant comme un ouf

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