Tyranny

Tyranny

Il suffit parfois de pas grand-chose pour rendre un jeu, d’apparence tout ce qu’il y a de plus classique, intéressant. En l’occurrence, le dernier né d’Obsidian, Tyranny, prend les habitudes narratives à rebours en nous présentant un contexte qui change toutes les interactions scénaristiques que l’on s’attend à retrouver dans un cRPG.  Mais, est-ce qu’une bonne idée transforme une œuvre en un bon jeu pour autant ? C’est ce que nous allons voir ensemble. C’est parti !

 

Tout ce qui fait la force de Tyranny réside dans son contexte. Dans cet univers, Kyros, le dictateur local régnant sur le monde de Terratus, domine toutes les régions connues par la peur (… par un système cyniquement appelé la Paix de Kyros), à l’exception d’une petite parcelle connue sous le nom des Tiers. Forcément, cette bulle abrite toute une population d’irréductibles avides de paix, de bonté, et de liberté, concepts peu en vogue chez les despotes. C’est d’ailleurs pour cette raison que Kyros cherche à assimiler cette petite poche de résistance, notamment par l’envoi d’une bonne partie de ses armées afin de les écraser comme il se doit. Ses armées sont sous le commandement d’Archontes, des êtres qui semblent immortels (… mais pas invincibles),  dotés de pouvoirs liés à une activité. Quoi qu’il en soit, le postulat est le suivant : les méchants ont gagné la partie, et vous en faites partie. Plus que cela même, puisque vous avez été un élément-clé de la conquête, quand bien même vous n’êtes qu’un pion. Il ne tient qu’à vous de terminer le travail, même si, il faut l’avouer, votre marge de manœuvre est relativement limitée au commencement.

Pour vous donner une idée des forces en présence, on aura la possibilité de croiser la route, de s’associer, de comploter, de s’opposer, voire de trahir, six de ces Archontes. Ashe, celui de la guerre, se targue de vouloir agir honorablement avec son armée des Disgraciés, et fait preuve d’empathie auprès de ses troupes, leur permettant de guérir plus vite, ce qui ne l’empêche pas d’être « un poil  » extrémiste sur les bords. Nerat Polyvoix, l’Archonte des secrets, est son rival direct et commande l’armée chaotique du Chœur écarlate ; lui, l’honneur, ça lui en touche une sans faire bouger l’autre car seul compte la finalité, et ce n’est clairement pas le dernier pour faire des coups magnifiquement tordus, surtout si cela va dans son sens (… ce qu’il s’efforce de faire en permanence). Entre ces deux-là, les options sont binaires ; fasciste ou anarchiste, fais ton choix camarade ! Sirin, l’Archonte du chant, fait partie des troupes de Nerat Polyvoix, et peut charmer quiconque par son chant, tel une sirène ; tellement puissante que son pouvoir a été volontairement bridé. Pour compléter l’armée de Ashe, Cairn, l’Archonte de la pierre, dévaste toutes les terres qu’il parcourt tel un Attila de base, à l’aide de ses pouvoirs impactant la géologie locale (… l’herbe ne repousse effectivement plus). Enfin, un peu plus distants de ces quatre énergumènes, on retrouve Tunon, l’Archonte de la justice qui est votre boss direct, et son exécutant, Blenden Mark, l’Archonte des ombres.

La création de personnage permet de choisir un background, ainsi que quelques capacités et compétences, bien que le plus intéressant soit les premiers choix que nous aurons à effectuer à ce moment-là. En effet, une fois notre personnage customisé, nous devrons choisir comment se sont déroulés les événements relatifs à la conquête des Tiers. Tout d’abord, la manière dont nous avons pris la grosse ville du coin, aka la Cité des Illégitimes. Différentes approches seront possibles ; brutale, sournoise, plus ou moins équitable, etc… Libre à vous de choisir la méthode qui vous convient le plus, mais gardez bien en tête que tous ces choix auront un impact sur toutes les futures relations que vous aurez avec l’ensemble des factions. Ensuite, nous aurons la possibilité de participer à la conquête d’une province parmi plusieurs objectifs, avec là encore des choix qui impacteront la suite de votre aventure. Et enfin, vous ferez vos choix sur la conquête finale ; Kyros ayant décidé d’accélérer le processus, il promulgue un décret que vous êtes chargé d’annoncer, décret dont les effets dévastateurs dépendront de la province que vous aurez choisi. Là où Dragon Age Origins propose un background de personnage ayant un impact uniquement sur le début de l’histoire, les choix initiaux de Tyranny vous suivront sur toute la partie.

En tant que Scelleur du destin, vous aurez donc parfois la responsabilité d’énoncer les décrets du big boss, et c’est d’ailleurs ainsi que débutera la partie. Néanmoins, un décret n’est pas seulement un vieux blabla dont vous devrez annoncer les termes devant la populace ; non, sous une impulsion magique, les mots de ce décret prennent alors vie, jusqu’à ce que toutes ses conditions soient remplies. Exemple : toute la région sera dévastée par une violente tempête électrique tant que toutes les personnes de telle lignée sont encore en vie. Si ne serait-ce qu’une seule personne de cette famille reste en vie, qu’elle soit dans la région ou non, alors toute la province prendra cher ad nauseam. Des conditions bien putassières qui feront remonter à la surface tous les penchants les plus sombres de l’humanité. Les extrêmes appellent souvent les extrêmes, et le camp des résistants ne sera pas en reste non plus. De toute manière, ils n’ont guère le choix ; finir esclave dans l’armée des Disgraciés, ou assimilé dans celle du Chœur écarlate à travers un joyeux rituel faisant voler en éclat tout amour propre, ou bien encore, tout simplement, mourir assez salement.

Premier constat, le « mal  » est un concept définitivement complexe, allant au-delà du simple fait d’agir comme un enculé ou non. Faire le mal n’entraînera pas forcément uniquement des conséquences négatives, et vice-versa si l’on cherche à faire le bien. Bien sûr, en tant que juge, jury, et exécuteur (… Judge Dredd style), rien ne vous empêche d’être totalement mauvais, bien que cela puisse vous compliquer la tâche dans de futures négociations. Rien ne vous empêche également de suinter de bonté pour tous vos pores, mais là encore, attendez-vous à rencontrer quelques obstacles. Les eaux dans lesquelles vous naviguez sont de toute façon définitivement troubles ; à vous de suivre votre voie et vos objectifs, ou bien de suivre les ordres à la lettre en n’étant finalement qu’un pion (eh quoi ?! cela reste aussi un choix…). Tout cela sans oublier que vous êtes sous la responsabilité de Tunon, l’Archonte de la justice, et que vous avez des comptes à lui rendre. Pour survivre au milieu de tout cela, il vous faudra être malin, quand bien même vous tomberez parfois sur bien plus fourbe que vous. Nerat Polyvoix est d’ailleurs un expert en la matière, et laissez-moi vous dire qu’il a réussi à me surprendre à plusieurs reprises. Bref, sortir du rébarbatif manichéisme fait un bien fou, et Tyranny, en vous présentant des situations abjectes, a le mérite de vous poser des questions sur votre propre moralité.

Vous croiserez également la route de six personnages recrutables, chacun appartenant à une faction et ayant ses banters, bien que l’on ne puisse se balader uniquement avec trois d’entre eux en même temps. Ce choix de limiter le nombre de personnages dans le groupe à quatre plutôt que six amène justement une meilleure rejouabilité, mais également un équilibrage plutôt juste au niveau des combats, à part lorsqu’on arrive vers la fin du deuxième acte, où il faut admettre que l’on commence à rouler sur un peu tout. A noter également que, même s’il n’y a que peu de compagnons disponibles, je les ai tous trouvé relativement bien construits, tous n’étant que nuances de gris, à l’image du jeu. Vous pourrez les influencer à travers vos paroles et vos actes, inspirant de la loyauté, de la colère, ou de la peur, modifiant ainsi les rapports que vous pourrez entretenir avec eux, en fonction de leurs personnalités respectives. Arrivé à un certain stade de la jauge de peur ou de loyauté, des pouvoirs de combo avec notre avatar pourront alors se débloquer. Au fil des discussions, il sera même parfois possible de débloquer des attaques combo entre deux compagnons. Potentiellement, certains d’entre eux peuvent ne pas du tout être disponibles en fonction des choix que vous aurez fait lors de la Conquête ; si vous aviez décidé d’éradiquer toute une faction à ce moment-là, il est peu probable que l’un d’entre eux revienne d’entre les morts…

Tout cela vous mènera à travers une aventure qui proposera de nombreux embranchements en fonction de vos choix, bien que les quêtes s’enchaînent de manière assez linéaire, le tout réparti sur trois actes. Les deux premiers réservaient de bonnes surprises et d’événements inattendus, mais le troisième est relativement expéditif. La conclusion arrive d’ailleurs de manière assez abrupte et se devine assez facilement, laissant la porte (très) grande ouverte à une suite et / ou des DLC, ainsi qu’un arrière-goût amer d’aventure inachevée. Ouais, c’est moche, surtout dans un cRPG, de se dire qu’on a l’impression d’avoir parcouru uniquement la moitié du chemin. Mais, fort heureusement, Tyranny dispose d’un potentiel de rejouabilité assez important. Enfin et surtout, on peut suivre la voie que l’on s’est définie en début de partie, y compris celle de faire n’importe quoi, n’importe comment, avec n’importe qui, bien que cette voie-là soit finalement la moins intéressante de toutes. D’ailleurs, afin de mieux saisir tous les tenants et aboutissants d’un choix, lors d’un dialogue, on retrouvera un système de couleurs avec des fenêtres popup en survol, permettant par exemple de se rappeler d’un choix précédent et des conséquences que cela a impliqué. Fonctionnalité très bien intégrée, permettant de retrouver tous ses petits sans surcharger inutilement l’interface avec des textes connexes ; vert pour une information spécifique de ce type, orange pour une une information générique tel que le background d’un personnage. Toutes ces informations proviennent du codex du jeu, mais ainsi intégrées, cela évite d’avoir à les chercher.

Côté gameplay, cela reste de l’Infinity Engine, et ceux qui ne peuvent plus le voir, même en peinture, n’ont plus qu’à passer à côté du titre. Tyranny ne réinvente clairement pas grand chose à ce niveau-là, si ce n’est sur la gestion de la magie. En effet, ici, nous aurons la possibilité de créer nos propres sorts, utilisant les effets que l’on souhaite, dans la limite de votre « score  » de Connaissance. Mélangez un Noyau (… il y en a onze au total) qui correspond à une école de magie (feu / terre / glace / entropie, etc…), une Expression qui définira la zone effective du sortilège, et enfin un Accent, qui permettra de régler le curseur afin d’amplifier et de customiser ses effets. Le champ des possibles est donc relativement vaste, et chacun pourra trouver son bonheur dans ce système. De quoi relativiser les commentaires de certains affirmant que le jeu est trop facile, car il suffirait de balancer des sorts de zone ; j’ai envie de dire qu’à un moment, c’est encore le joueur qui décide de quelle façon il joue. A ce sujet, Obsidian partage tout de même une partie du tort, car il n’y a pas du tout de friendly fire, même optionnel ! Néanmoins, et cela reste une appréciation tout ce qu’il y a de plus personnelle, sorti de l’archétype du mage, les combats deviennent nettement moins intéressants.

Bien qu’il existe une pause active, tous les pouvoirs, sortilèges, compétences, sont soumis à un cooldown, pouvant varier en fonction de la valeur d’une caractéristique du personnage (célérité) ; typiquement le genre de features que l’on retrouve dans des MOBA ou MMORPG (… tout  comme les différents arbres de compétences). A noter que certains ne peuvent être utilisés qu’une fois par combat, notamment les combos cités un peu plus haut. Il faut également savoir que la capacité de lancer des sorts n’est pas uniquement limitée à un personnage spécialisé dans la magie, puisque cela va dépendre d’une caractéristique (esprit) et d’un attribut (connaissances) ; encore une fois, libre à chacun de développer ses personnages comme il l’entend, quand bien même cela n’aurait aucun sens en termes de roleplay. Néanmoins, je ne saurais assez vous recommander de ne pas procéder ainsi, car cela tue définitivement le challenge et le plaisir du jeu (… tout comme le fait de n’utiliser que des sorts ayant des effets sur une zone). Je pense sincèrement que, même s’il est permissif à ce niveau, il n’a pas été conçu pour être joué ainsi ; là où Pillars Of Eternity nécessite de la micro-gestion poussée de personnage à haut niveau de difficulté, Tyranny va davantage favoriser un développement que je qualifierais d’instinctif (même s’il y a une grosse part d’arithmétique), aussi bien dans le gameplay que dans la narration. Je veux dire, il y a minmaxer pour minmaxer, et il y a optimiser son personnage d’une manière roleplay ; Tyranny est plutôt un jeu à considérer avec la deuxième option. M’enfin, ce n’est que mon point de vue.

Pour le reste, l’IA fait son office, et graphiquement, cela passe plutôt bien ; on a un rendu davantage pastel que cartoon, amenant un contraste bienvenu vis-à-vis de l’univers et du propos, et pour ma part, cela n’a pas eu d’effet nuisible sur le rendu global de l’ambiance, bien au contraire. Pour tout vous dire, je l’ai même trouvé plus lisible que Pillars Of Eternity, notamment via l’utilisation de sa palette de couleurs. Les environnements sont assez détaillés et variés (on note la présence d’un zoom / dézoom limité), mais la variété n’est pas allée jusqu’au bestiaire, puisque principalement composé d’Hommes. En effet, ces derniers s’adonnant à ce petit plaisir multimillénaire qui est de foutre sa main dans la tronche de son voisin, il n’y avait alors pas vraiment besoin d’inventer des monstres de toute pièce ; la monstruosité la plus terrifiante reste celle qui nous ressemble. Ce manque de variété ne m’a donc pas du tout ennuyé, car cela restait cohérent avec l’univers, et j’étais surtout très content de ne pas avoir à me taper l’écueil de l’habituel bestiaire en mode high fantasy. Oui ? Quoi ? Un mot sur le pathfinding ? Vous êtes vraiment sûr que c’est nécessaire ?! Dire qu’il est aussi bon que celui de tous les jeux du genre est suffisant pour situer le niveau. Quant à l’habillage sonore, eh bien, disons que… hum… je ne saurais pas vraiment vous dire, car je jouais avec du PJ Harvey et du Portishead en sourdine. Voilà voilà…

Ah oui, dernier tip pour la route : activez le mode Expert en début de partie, y compris pour les néophytes du genre, ce qui supprimera un certain nombre d’informations. Sans cela, le plaisir de la découverte des choix dans les dialogues fondra comme neige au soleil, tellement il y aura d’indications et d’aides à la décision affichées à l’écran. En caricaturant à peine, cela peut vite ressembler à : « choisis 1 pour utiliser telle compétence et être en kiff avec telle faction, choisis 2 pour utiliser l’autre compétence et que telle faction te jette des cailloux, tu ne peux pas choisir 3 parce que tu n’as pas le niveau sur telle compétence, choisis 4 pour être détesté par tout le monde, etc…  » . Cela oriente inconsciemment les dialogues en faisant tendre les choix en fonction de ce que l’on souhaite faire, sans que ces choix ne soient pour autant ceux que vous auriez fait de prime abord. Tous les dialogues et leurs conséquences restent malgré tout logiques, qu’il y ait des indications ou pas.

 

Pour rebondir sur ce qu’avait pu dire Marcheur au sujet du studio de développement à l’origine de Tyranny, oui, Obsidian est encore capable de produire des bons RPG avec une histoire loin d’être dégueu, y compris sans Chris Avellone, et d’autant plus lorsqu’ils n’essayent pas de singer l’univers de Donjons & Dragons. Même si un premier run dépassera rarement les 35 heures, et qu’il laisse malgré tout une vilaine impression d’inachevé au niveau de l’histoire, il dispose d’un potentiel de rejouabilité assez élevé. Enfin et surtout, ce jeu s’avère un RPG bien écrit et tout à fait mémorable ; une vraie bonne surprise que je n’attendais pas vraiment. Recommandable ? Et comment !

Tags

A propos de l'auteur : Toupilitou

Loutre hyperactive et webmaster de https://loutrage.fr

Un commentaire sur “Tyranny”

  1. Toupilitou dit :

    Messages récupérés de l’ancien système de commentaires

    Etienne Navarre : J’avais déjà envie d’y jouer, je n’en suis que plus conforté. Et plus que conforté je suis !

    Prypiat : La même ! Tyranny se rapproche dangereusement du haut de ma « tobuy-list » à mesure que le temps avance ^^

    Corbulo : Excellent jeu, vraiment, ses qualités éclipse, pour moi, ses quelques défauts. Je le conseil vivement au amoureux du genre.


Connectez-vous pour laisser un commentaire

Groupe Steam

Derniers commentaires

Aller à la barre d’outils
>