L’argument : « classique mais maîtrisé » pour les suites

Comme vous avez dû vous en rendre compte (… bien que je m’en défende), je suis un râleur. J’aime bien avoir ma cible pendant une petite période de ma vie, avant de passer vaguement à autre chose et y revenir plus tard pour infirmer ou affirmer mon avis sur la chose. Avec du recul, j’ai sans doute tapé très fort (… trop ? Non, jamais je la dirais celle-là) sur Pillars of Eternity, Life is Strange, Dragon Age Inquisition et sans doute d’autres immondices titres respectables dans ce genre. Je reviendrai peut-être un jour sur chacun d’eux, mais aujourd’hui, j’ai un petit coup de gueule à l’intention du public qui défend certains de ces jeux. En effet, ils m’ont profondément fait chier avec un argument que je déteste. Vous voulez savoir à quel sujet j’ai été confronté à ces énergumènes ? A propos de Dishonored 2, et… oh merde tu es là toi ? Pillars of Eternity.

 

L’argument d’autorité, c’est un peu comme le point godwin on le sort quand on a plus rien à dire

Si un jour vous détestez un truc, mais vraiment, que ça vous sort par les pores de votre peau et vous donne envie de détruire une partie de cet univers, c’est que vous êtes tombé sur un élément culturel de classe supérieur : un Némésis culturel temporaire ou définitif (acronyme NCTD). Souvent, ce Némésis, dans mon cas, est plébiscité par un certain public, plus ou moins vaste, qui en fait l’apologie parce qu’il s’adresse à une partie d’eux-mêmes particulièrement faible. Et quand on vise un point sensible, on est quasiment certain d’évoquer au choix deux sentiments complètement opposé : soit la cible vous idole, soit elle vous déteste. Dans un cas, elle a l’impression d’avoir été entendue et comprise, dans l’autre elle a juste le sentiment que vous la prenez pour une conne. Imaginons, vous êtes dans le premier camp et moi dans le second, vous adorez Dishonored 2 et je le déteste tout en comprenant pourquoi vous l’adorez. Nous allons discuter des qualités et des défauts de ce titre et par malheur (… encore plus grand pourrait être ce malheur si vous le pensez sincèrement), vous placez dans la conversation un « c’est classique mais maîtrisé…  » , je risque de vous en vouloir encore plus amèrement que le gars qui m’a un jour affirmé que le seul blockbuster avec une vision d’auteur était The Last Of Us.

Tiens d’ailleurs, lui aussi m’a sorti que le gameplay était « classique mais maîtrisé  » , alors que ce n’est fondamentalement pas le cas, vu que le jeu a été automatisé à l’excès et que la composante furtive est nullissime. Enfin bref, cet argument d’autorité ne repose sur rien de concret, ne repose sur aucune réflexion, et coupe tout intérêt à la discussion. Il est difficile de rebondir et d’avoir l’air crédible après avoir sorti cette connerie ; avec des efforts, on pourra vous laisser embrayer sur quelque chose de pertinent, mais bordel, dans mon cas, quand ça arrive, je prends sur moi. On m’avait d’ailleurs sorti ça pour défendre le gameplay de Lost Odyssey, et ça m’avait littéralement rendu fou parce que ça faisait en quelque sorte parti de l’ADN du jeu d’avoir un système de combat puant le formol, mais on arrivait à me dire que c’était une qualité mécanique. Non mon ami, jamais de la vie.

Se tourner vers le classique sans avoir aucun propos dessus, c’est un aveu d’échec créatif, et là, je sais qu’il va y avoir des gens pas contents : faire une suite qui reprend les idées, la structure, et le propos d’un original, sans avoir d’autres arguments que « Oui mais on corrige le tir !  » . Dans ces cas là, tu fais ce qu’on appelle une director’s cut dont le principe même de son existence est d’offrir la vision d’auteur originelle, et dans le cas du jeu vidéo cela peut prendre plein de formes : une mise à jour dans le meilleur des cas, un DLC payant dans le pire, mais si tu n’as rien de plus à dire qui n’a déjà été dit dans le précédent, ta suite, tu la fais pas et c’est ainsi !

Je vais prendre la défense d’un jeu pour le coup : Dragon Age 2. On est bien d’accord, son système de combat et d’IA étaient daubés, le recyclage honteux et la finition dramatique, mais au moins, il avait quelque chose de neuf à raconter sans se contenter de suivre la formule Bioware. Mass Effect 2 aussi était un changement de vision significatif contrairement à cette ignominie de Mass Effect 3. On peut en trouver plein de suites « 1.5 » qui sont salués par la presse et les joueurs, alors que globalement, ils n’ont pas d’autres intérêts que de continuer ou finir une histoire… Quoi ? KOTOR 2 ?!

 

Justifier la fainéantise créative et jouer le jeu des éditeurs

C’est là aussi un gros soucis de cet argument à la con. Avec cet argument, on fini par avoir des jeux annualisés qui peaufinent chaque fois la formule, en ne proposant finalement jamais rien de vraiment neuf. On parle alors de renouveler une formule, d’incorporer de nouvelles idées dans le système, et faire en sorte que l’impression de refaire encore et encore et encore la même chose disparaisse. Par exemple prenons la série des Halo (… je les aime bien, on est d’accord). Le premier, c’est la formule. Le second, c’est la formule mature avec une narration plus poussée, des niveaux plus variés, des nouveautés dans le gameplay en masse, et globalement, un univers qui s’élargit tant que l’on a du mal à se dire que c’est une suite. On ne va pas dire classique mais efficace, car chaque mécanique est là pour réinventer le gameplay, et ça, c’est une suite réussie, contrairement à Halo 3 qui a encore peaufiné la formule sans vraiment y apporter énormément d’éléments pour justifier le numéro 3. Cela dit, Halo 4 viendra chambouler pas mal de points de la formule, et ira même jusqu’à trahir au point de casser le feeling Halo et ressembler à un FPS s’inspirant effectivement de l’univers, sans pour autant faire la même chose, ou essayer de faire la même mais avec beaucoup moins d’efficacité malgré les nouveautés réelles.

C’est finalement Halo 5 qui ira changer beaucoup de choses en corrigeant le tir du 4, en incorporant les nouveautés qui lui manquaient avec un vrai nouveau feeling, de vrais nouveaux concepts, et une construction autrement plus étudiée. On est loin d’un Dishonored 2 là dessus, qui se contente de peu avec un bestiaire à peine (… mais vraiment à peine) renouvelé, avec des skins identiques pour certaines créatures, une extension des cartes, et des pouvoirs supplémentaires qui se comptent sur les doigts d’une main. Et pourtant, Dishonored 2, c’est quatre ans de développement (… même si on imagine très aisément un Arkane plus occupé à travailler sur Prey). On peut d’ailleurs faire exactement la même remarque pour Mankind Divided où le studio Eidos Montréal a cela dit dû sortir Thief entre-temps (… oui, le jeu est plutôt bon, bien que beaucoup taillent à tort).

Je ne suis pas en train de dire que les suites sont de mauvaises choses. C’est juste que comme tout, il y a les bonnes et les mauvaises (… c’est pas le même rapport que le bon et le mauvais chasseur, je vous l’accorde). La bonne, c’est Lightning Returns Final Fantasy XIII (… qui reprend l’univers, les personnages, mais change absolument tout le reste, au point où l’on se demande s’ils sont du même genre), et la mauvaise, c’est le calque perfectionné qu’est Dishonored 2. Ah, et pour en revenir à Pillars, le jeu s’inspire tellement des jeux de l’infinity engine qu’il en reprend la forme du gameplay en le rendant encore plus rempli de micro-gestion hasardeuse, où avoir deux fois la même stratégie peut amener à deux résultats différents, où le pathfinding est cancérigène… le tout sans même être autant plaisant qu’un Baldur’s Gate 2. Purée, mais au secours ; paye ton héritage !

Pourtant, on lit à propos de ce dernier des « classique mais efficace  » . Mon dieu, mais pas du tout ! Les seuls écarts qu’il commet vis-à-vis de sa formule empire le résultat final. Le peu d’idée qu’il a le rend gonflant, alors qu’en plus on a la tenace impression de jouer aux mêmes jeux que ses prédécesseurs, mais en saboté. A l’inverse, niveau jeu qui prend un vrai risque et se plante pas mal (… et c’est assez malheureux), on a Risen 2 Darkwaters qui dépoussière la formule Piranha Bytes avec un moteur tout frais tout beau, un système de jeu renouvelé, et un système de combat intelligent mais complètement sabordé par des choix stupides, avec une roulade inutile et une parade qui ne s’applique qu’aux ennemis humanoïdes. Quand le troisième opus est sorti, il a corrigé les défauts du second… en incorporant un système d’attaques sur rail impossible à arrêter, rendant le contrôle des affrontements infects. Joie.

C’est pour cela que je comprend la frilosité des développeurs, des éditeurs, et par extension des joueurs lorsqu’il y a des changements, comme le fameux passage à la 3D encore vu par beaucoup comme la période la plus sombre de notre histoire (… merde, on s’approche vraiment du godwin là), alors que ça nous a apporté énormément dans pleins de domaines. C’est juste que quand il y a une innovation, il faut forcément une première, et la première fois ça passe (Titanfall s’en est pas si mal tiré avec du recul), ou ça casse net (les putains de Sonic en 3D, non mais sérieux !). D’ailleurs, bon exemple, vu que Sonic Generation est loin d’être un mauvais Sonic et… il est en 3D !

Donc, avec ces exemples, on montre qu’une suite a besoin de bousculer les systèmes pour évoluer dans le bon sens, et qu’il est possible de ne pas simplement rester sur la même voie en espérant qu’une nouvelle fois personne ne se plaindra. C’est pour cela que certains jeux ne laissent que peu de place à une suite, parce que Dishonored c’était déjà un jeu très inspiré de pleins de jeux avant lui : Thief, Deus Ex, et c’est plus logique, Dark Messiah Of Might And Magic. Le jeu est déjà un pot-pourri de pleins de choses, mais il a suffisamment travaillé pour avoir sa propre identité. Néanmoins, loin de quoi justifier toute une franchise ! On peut d’ailleurs dire la même chose pour Pillars Of Eternity, sauf que quand il fait des écarts, il se plante… donc, sauf si vous avez de belles idées, Obsidian, faites une jolie croix sur l’idée d’une suite. D’ailleurs, Tyranny, c’est plutôt une bonne idée. Félicitations ! Faut que je trouve le courage de le faire, mais avant tout… de l’acheter.

 

La conclusion ? Fait gaffe à ce que tu dis, sinon tu prends des pavés dans la gueule. Pour l’instant c’est au sens figuré plutôt que strict, mais attention ! On peut justifier n’importe quel amour envers quoi que ce soit, tu peux même dire que quelque chose est selon toi de la merde, mais argumentes au moins sans sortir des lieux communs. Maintenant, il faut aussi que cesse la fainéantise créatrice qui s’installe sur le marché, parce que même lorsque ça créait de nouvelles licences (Titanfall, Steep, The Division, The Order ect…), cela reste très classique et ne fait finalement rien avancer. Avec du recul, je suis sûr que les plus conservateurs peuvent se rendre compte qu’ils n’ont pas envie de jouer constamment à la même chose, même si c’est chaque fois un peu meilleur. Donc, on va tous faire attention à ce que l’on dit, et tous faire attention aux suites, sinon, Marcheur, il va encore écrire des pavés ; même s’il aime l’exercice, il aimerait bien écrire sur d’autres choses !

A propos de l'auteur : Marcheur

Enfant attardé de Kreia et d’Alfred de Musset. Pense que tout est narration, et répète sans cesse qu’il donne tout en dansant comme un ouf

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