Spiders : Pourquoi j’y crois

Un article d’espoir dans une industrie en perdition ; si c’est pas beau ça. En ce moment, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les monolithes du jeu de rôle occidental s’écroulent, tandis que le jeu de rôle japonais commence doucement à se relever de la septième génération. Dragon Age Inquisition, Pillars of Eternity, et Fallout 4 sont autant de déceptions à mes yeux que de raisons de ne plus croire aux anciens. Car, soit ils s’enferment dans leurs habitudes et leurs maîtrises (Obsidian avec Pillars) soit ils vont au plus large pour mieux se perdre (Fallout 4 de Bethesda), ou bien encore, ils font tout simplement n’importe quoi qui rappelle un tant soit peu un jeu moderne (… le machin Inquisition). Avec toutes ces têtes qui tombent, je me retrouve bien bête, moi, le bourreau à mi-temps, parce que je n’ai plus grand chose à couper. Donc, pour cette fois, je me tourne vers ce qui m’inspire de la tendresse et me donne envie de continuer à soutenir des jeux plus « industriels », quoique le terme peut prêter à confusion, surtout lorsqu’on parle des petits gars de Spiders.

 

 

Des petits nouveaux ambitieux et modestes

Si vous me permettez l’expression, des couilles, les français de chez Spiders – sous le regard bienveillant de leur éditeur au visage sympathique : Focus Home Interactive – en ont grave. Il fallait les voir s’amener avec Mars : War Logs, Action / RPG en 3D, fruit d’une nouvelle IP avec seulement 650 000 euros en poche. Sacrés gaillards. Le pari était osé, car après un Faery sans grande prétention, ils devaient non seulement imposer un univers, mais également un système de jeu en un seul « mini » titre, vendu quinze balles en dématérialisé, et vingt en boîte sur PC. Personne n’y croyait vraiment, sauf Focus, le studio concerné, et je fus moi aussi assez enthousiasmé par le trailer musical du titre..

 

 

Du trip-hop, un humour noir rappelant Fallout, « feel the sunshine » (le soleil sur Mars, ça brûle), un univers post apocalyptique… C’était quelque chose de suffisamment frais pour éveiller mon intérêt. Cela venait de nulle part, et cela sortait dans deux jours au moment de ma découverte. Les deux journées suivantes furent assez longues, la famine prolongée après un Game of Thrones RPG commençant à peser. J’en parlais autour de moi afin de faire connaître le jeu, ne convainquant personne d’acheter le titre, mais leur faisant bien comprendre que j’en voulais. Puis vint le jeu, et sans trop me tromper, ce fut contre toute attente mon jeu de l’année 2013. Une année qui n’a d’ailleurs pas fourni grand chose de fou à part The Last Of Us, bien que j’ai passé bien plus de temps sur le titre de Spiders. Et après avoir lu ça, vous devez surement vous crever les yeux face à ce que j’ai écrit ! On est d’accord, objectivement, The Last of Us > Mars : War Logs, sauf que ça n’a pas joué sur mon enthousiasme. Mars m’a tenu longtemps parce que j’y retrouvais quelque chose que je croyais disparu depuis 2007 avec The Witcher : le KOTOR-like.

Au final, c’est cela la différence fondamentale entre un Spiders et un autre studio « modeste ». Les studios modestes, ils revoient leurs ambitions à la baisse pour coller au budget et au temps de développement disponible. Spiders, ce sont des gens qui desservent leurs jeux en voulant en faire des grands. Ils vont même jusqu’à rusher les fins de leurs titres pour offrir des jeux généreux en contenu, et d’une qualité très correcte, malgré des ambitions complètement démesurées. Mars : War Logs a un scénario dense qui pourrait tenir sur trente heures de jeu, alors qu’il n’en dure que quinze. Pareil pour Bound by Flame qui n’est pas beaucoup plus long, mais qui est plus soigné sur l’ensemble de ce qu’il propose. Au final, on ressort de leurs jeux avec une impression mitigée, mais à chaque fois, c’est mieux que la dernière, et à chaque fois, c’est généreux, si bien qu’on se dit « là, c’était cool, mais la prochaine fois, ce sera encore mieux« . La seule envie que j’ai, c’est de soutenir le studio. Surtout qu’ils ont de plus en plus de temps pour développer leurs titres, et avec plus de temps, il y a plus d’espoir de voir leurs grandes ambitions se concrétiser, même si les défauts ne sont pas toujours uniquement dus au manque de temps et de moyens.

 

Bound by Flame: Life

 

Une vision construite et intéressante du action / RPG

Bien sûr, cette ascension est progressive, et globalement, les jeux de Spiders se ressemblent pas mal. Surtout Mars : War Logs et Bound by Flame qui partagent un même système de jeu. Tous leurs jeux sont développés sous le moteur maison Silk Engine (… avoir son propre moteur, cela permet aussi de se créer une identité !) et sont assez linéaires sans pour autant être dirigistes. Il y a un véritable soucis de liberté du joueur malgré les apparences. Si les cartes de leurs jeux sont effectivement fermées et étouffantes dans le cas d’un Mars : War Logs, Of Orcs And Men et Bound by Flame – c’est moins le cas dans un Faery – ce n’est pas le cas des histoires de leurs jeux ou même de la jouabilité. Le studio mise sur les choix que peut faire le joueur, dans le développement de son personnage ou même dans les dialogues. C’est une philosophie se rapprochant énormément du genre du KOTORlike, comme j’aime à les appeler. Mais si, vous savez, les premiers jeux de rôle occidentaux en 3D, avec des couloirs et des choix moraux. Eh bien Bound by Flame et Mars : War Logs s’inspirent tous deux d’un jeu que j’ai déjà cité : The Witcher.

Des jeux linéaires en apparence seulement, Bound by Flame propose deux styles de combat actif, ainsi que quelques sorts pour agrémenter le tout, sans tourner le dos au mélange de classe ; un mage pyromant maîtrisant les dagues et les armes lourdes n’est pas aberrant. Le système de jeu de Spiders – inspiré de The Witcher 2 sans en importer les problèmes de collisions – s’avère particulièrement souple et efficace. Il incorpore d’ailleurs une idée intéressante, mais pas encore tout à fait aboutie : la discrétion qui, dans leurs jeux, permet de simplifier les affrontements tout en laissant le loisir au joueur de préparer le terrain avec quelques pièges, insufflant de ce fait un peu de stratégie à des affrontements ardus et dynamiques. Malheureusement le système n’est pas sans défauts, et un manque clair d’équilibrage, surtout dans cet infâme chapitre 3 (… plus jamais, les gars !) rend le jeu trop punitif et contraignant.

Car Spiders sait aussi qu’il y a un public pour le action / RPG hardcore à la Dark Souls, et semble tendre à se rapprocher du système des Soulslike. En témoigne l’incorporation d’une barre d’endurance dans leur prochain titre : The Technomancer. Ainsi Spiders est attentif aux réussites des différents genres, n’hésitant pas à piocher là où quelque chose fonctionne pour l’intégrer dans leurs titres. Le but étant de toujours proposer plus et de meilleur qualité, afin d’arriver à offrir aux joueurs des jeux de mieux en mieux écrits, riches, rythmés et dans des univers particuliers à l’esthétique toujours plus singulière et travaillée. Je le répète : en l’état, les ambitions du studio dépassent totalement leurs titres déjà sortis, mais ils progressent à vue d’œil. Il n’y a qu’à constater l’évolution de la formule entre Mars : War Logs et Bound by Flame, que ce soit en termes de réalisation, de finitions et de gameplay (… et ça n’est pas qu’une question de budget et de temps de développement, les deux n’ayant pas été fournis en abondance pour le jeu de rôle de Dark Fantasy du studio). L’expérience permettra au studio de continuer à aiguiser leur système de jeu qui reste à parfaire, même s’il est déjà bien plus fonctionnel que dans le brouillon Mars.

 

 

Des défauts de jeunesse qui ont fait du mal au studio

Pourtant, malgré l’évidence des bonnes intentions, le studio n’a pas une si bonne réputation. Les moqueries autour de Mars : War Logs et Bound by Flame – surtout pour ce dernier – ont été nombreuses. La faute à une presse qui ne prend en compte qu’un produit en le comparant à d’autres produits, sans prendre en considération le budget, le temps fourni au studio, ou même son expérience. Sans être des bleus, Spiders est un jeune studio créé en 2008 et qui a tourné pendant 5 ans à coup de projets alimentaires, dans la frustration de ne pas accoucher de celui qui ne s’appelait que Mars à l’époque. Entre portages (Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur, Le testament de Sherlock Holmes et Gray Matter sur 360) exécution de projet d’un autre studio (Cyanide et leur titre Of Orcs And Men), et production d’un mini-RPG à destination des consoles de septième génération (Faery), il faudra attendre Mars : War Logs pour qu’enfin le studio montre quelque chose qui vient vraiment de lui. Et cette chose n’est encore qu’un titre de moindre envergure, à peine soutenu par un éditeur hésitant et méfiant de nature, non sans raisons.

Le jeu sera heureusement un succès commercial, à défaut d’être un must-have selon les critiques qui lui décerneront un timide 59 sur 100 en score général, tandis que les joueurs plus séduits lui offriront un score global de 7.3 sur 10. Il sera l’occasion pour un public de niche de constater que Spiders ne sont pas que des exécutants, et qu’il y a bien une volonté de créer des jeux pour un certain public, avec une vraie vision. Vision qui continuera d’être explorée dans un nouveau titre plus ambitieux mais pas mieux accueilli. Bound by Flame récoltera des scores assez similaires, avec une note de la presse de 56, et une note des joueurs de 6,9. Beaucoup de joueurs tailleront le jeu sur sa ressemblance avec Witcher 2, sans atteindre sa maîtrise, ses soucis d’écriture, son manque d’équilibrage, ses doublages médiocres. Mais, une partie du public aura un regard plus bienveillant envers le jeu. Soulignant une vraie envie de bien faire, de proposer une histoire épique, de creuser des personnages et de les impliquer dans les enjeux narratifs, d’offrir un système de combat huilé et un challenge réel. Bound by Flame finira par devenir un succès commercial grâce à son portage sur la PS4, et poussera Focus Home Interactive à revoir le budget du prochain titre du studio à la hausse, commençant surement à prendre confiance en Spiders.

 

 

The Technomancer, la chance de Spiders

Retour sur l’univers de Mars, laissé sur une conclusion brutale. The Technomancer, le futur titre de Spiders a une double tâche : celle de rabattre le caquet d’une presse et de joueurs généralement moqueurs, mais aussi présenter et approfondir un univers riche, afin de convaincre et fidéliser les potentiels amateurs de jeux de rôle. Les cartes sont dans les mains du studio : un budget plus élevé, visiblement plus de temps de développement (l’annonce du projet Mars : Paradise Lost datant de début 2014), une expérience plus importante, et de grandes leçons apprises de Bound by Flame, ainsi que le soutien du talentueux compositeur Olivier Derivière. Ce sont autant de raisons de croire en ce nouveau titre. Des promesses engageantes doivent cela dit être tenues, avec des environnements plus vastes, des personnages plus intéressants, des combats plus riches, un système de réputation et de persuasion, ainsi que de nouvelles possibilités d’exploration. Une pléthore de nouveautés pour la formule sont à attendre de ce nouvel opus, tout en prenant en compte les corrections que l’on attend d’une suite.

Mais j’y crois, plus qu’en Bound By Flame qui était un jeu de commande. The Technomancer est la concrétisation de huit années de frustration. On a là le titre que Spiders a le plus envie de faire. Plus grand, plus intéressant et plus personnel que leur dernier jeu en date, The Technomancer jouit en plus d’une direction artistique qui a l’air maîtrisée, de musiques franchement originales, et d’un univers que l’on sait déjà intéressant. Il ne reste à Spiders qu’à peaufiner sa formule, l’enrichir, écrire une belle histoire et de bons personnages, et d’enfin fignoler le jeu afin de nous proposer un titre qui n’aura pas à rougir des autres productions grand public. Juste de quoi infliger un juste retour des choses aux détracteurs. De quoi envoyer un message aux joueurs sous la forme d’un « On est là, maintenant« , et de quoi offrir au marché un nouvel univers dans lequel on pourra voyager en n’ayant pas trop l’impression de l’avoir mille fois parcouru. Un jeu de passionnés, pour des passionnés, avec le seul objectif de se créer un public qui en a ras le bol des faux Action / RPG de ces dernières années, pleins de vides open world et de quêtes inintéressantes. Un bon gros rail de A-RPG qui ne confond pas quantité et qualité, c’est tout ce qu’il nous faut, et je crois que c’est ce que vient nous offrir Spiders en cette année 2016. Finalement, le KOTORlike n’est peut-être pas encore mort, même si Mass Effect 2 a bien failli le tuer.

 

 

C’est plein d’espoir que je conclue cet article. Je projetais de le faire il y a de cela quelque temps parce que, j’espère que vous l’aurez compris : j’aime les intentions de Spiders. J’apprécie leur style, j’apprécie leurs jeux, leur passion m’attendris. J’aime leur côté encore artisanal ; cette manière de ne pas faire comme les autres, et pourtant d’être sur le même marché. Il y a cette passion digne d’un indépendant avec des moyens plus importants. Tout ce que je demande d’un jeu de ce genre, c’est de m’offrir une histoire suffisamment longue et travaillée pour m’impliquer dans un univers dans lequel j’ai un impact. J’ai envie de croire en ce studio, leurs jeux ont jusque là été aussi intéressants que frustrants, et j’invite les amateur des Action / RPG qui n’ont pas oublié ce que voulait dire Role Playing Game de s’intéresser à ce studio et à leurs jeux. C’est le meilleur moyen que nous avons pour faire revivre un genre que l’on aime, soutenir ceux qui le font vivre, et qui essayent de lui donner un second souffle. J’attends avec impatience mais aussi avec crainte The Technomancer, dans l’espoir d’y voir plus que de l’espoir !

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A propos de l'auteur : Marcheur

Enfant attardé de Kreia et d’Alfred de Musset. Pense que tout est narration, et répète sans cesse qu’il donne tout en dansant comme un ouf

4 Commentaires sur “Spiders : Pourquoi j’y crois”

  1. flofrost dit :

    Et je viens d’apprendre une bonne nouvelle pour Spiders, désormais Focus est plus généreux et a augmenté la part de bénéfices pour les studios. Voila l’extrait du document :
    « les coûts ont également bien progressé en 2015 :
    recrutements pour structurer le groupe + passage du cap des 50 salariés et mise en place
    d’un accord d’intéressement/participation + dépassement des seuils augmentant la part des
    bénéfices reversés aux studios sur plusieurs gros succès. Ce dernier élément rend les
    prévisions difficiles, d’autant que chaque contrat avec les studios est calibré différemment,
    c’est pourquoi nous préférons rester prudents (gain limité à 110bp sur la MEX 2015e par
    rapport à 2014).«

  2. Marcheur dit :

    D’où la sortie tardive de Technomancer désormais annoncé pour l’été 2016 sans plus de précisions.
    Cela sent la volonté de fignoler le travail, un luxe qui aurait bien profité à Bound by Flame et à Mars War Logs.
    Merci pour la précision Flo’, décidément c’est à Spiders de désormais user de leurs ressources disponibles.

  3. flofrost dit :

    On est d’accord, là j’ai l’impression qu’ils ont toutes les armes en main, à eux désormais d’en faire bon usage.

  4. Marcheur dit :

    Pareil pour Cyanide/Larian qui ont le vent en poupe pour créer des jeux de meilleurs qualités, j’ai bon espoir que Cyanide créait une suite à Of Orcs and Men digne de ce nom, et que Larian porte Original Sin 2 sur console. Si tout se passe comme on est en droit de l’espérer, le jeu français va reprendre un peu de gueule, et on pourra tourner la triste page de Life is Strange…


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