Dragon Age 2

En voilà un qu’il est détestable. Suite du sympathique Dragon Age Origins, Dragon Age 2 a longtemps été un des principaux symboles du phénomène de « sabotage  » de licence pour capitaliser rapidement sur un succès fulgurant. Action-RPG développé en deux coups de cuillère à pot par une équipe que l’on imagine plus composée de marketeux que de créatifs, il a largement contribué à refiler à EA Games sa sale réputation. Dragon Age 2 (DA2), c’est un an de développement. Ouais, un an, pour un RPG. La grogne s’est un peu tassée depuis, grâce, on l’imagine, à un Dragon Age Inquisition indéniablement plus travaillé, qui en aura coupé court au débat en rassurant certains (… pour mieux enterrer la licence aux yeux d’autres, vous me direz). Bâclé et simplifié, DA2 l’est. Mais n’oublions pas que parfois, la simplification ça marche – pour chaque Dead Space 3, on a un Mass Effect 2… Tout est-il vraiment à jeter dans le bébé difforme de BiowEAre ?

 

Like a hobo

L’histoire est racontée par Varric, nain conteur à ses heures. Malgré la contrainte de l’antipathique « Chercheuse » pour qui le récit semble avoir un intérêt autre que purement divertissant, il déballe non sans un certain plaisir les aventures de Hawke, le « héraut de Kirkwall », avec qui il aurait voyagé par le passé. Histoire qu’il ne peut s’empêcher d’embellir « à sa sauce » – c’est plus fort que lui.

C’est le boxon en Férelden. Les Gardes des Ombres ont formé une armée pour repousser un envahisseur démoniaque, les Engeances. Hawke, habitant d’un petit village autrefois tranquille, se retrouve comme beaucoup contraint à fuir la guerre avec sa famille. Sans le sou, et le moral dans les chaussettes, il cherchent alors refuge au nord, dans la ville de Kirkwall, où ils devront trouver leur place… quitte à devoir ramper au sol, s’abaisser à des activités peu recommandables ou s’asservir pour trouver un toit où dormir.

Votre personnage est ici imposé ; plus question de choisir sa race ; vous incarnez forcément Hawke, qui a un passé, des motivations et un avenir propres. Et Il a beau avoir préféré fuir les combats, il n’en sera pas pour autant épargné.

 

Vous reprendrez bien un peu d’action ?

Ouais, Hawke va en charcuter, du méchant. Clairement, le jeu a pris l’habituelle direction beaucoup plus action que son prédécesseur. Disons-le tout de suite : c’est là que se trouve le gros des problèmes du jeu, et ils ne sont pas légers, oh que non. Si vous le voulez bien les enfants, amusons-nous un peu à présenter ce qui ne va pas dans Dragon Age 2. C’est rigolo, de dire du mal !

S’il garde la pause active et le système d’ordres à donner à une équipe de quatre personnages, Dragon Age 2 prend des faux airs de hack’n slash – vous serez régulièrement entouré de vagues d’ennemis faibles. Un schéma très arène que l’on retrouve souvent dans le jeu, qui a ceci de frustrant qu’il n’offre qu’un challenge assez artificiel… et quoi de plus gavant que de se retrouver avec vingt adversaires tous frais, téléportés dans votre dos ou tombés du ciel, comme par la volonté du Créateur, après en avoir déjà dézingué deux vagues…

Vous pouvez oublier l’aspect tactique d’Origins. En difficulté normale, il suffit de foncer dans le tas – avec la « programmation » de base, les compagnons font le boulot tout seuls. Pas de problème de friendly fire. Il suffit de l’activer et d’augmenter la difficulté, me direz-vous ? Haha, mais non, jeune padawan naïf ; le jeu ne vous laissera pas vous en tirer comme ça. Parce que ce n’est pas tout, oh non… Ouais, les difficultés supérieures forcent à faire plus attention, et la microgestion est parfois nécessaire. Mais vous remarquerez assez vite que le jeu a de petits soucis d’IA. En deux mots, les compagnons font n’importe quoi, peu importe les ordres que vous leur donnez, même en « passif ». C’est excessivement énervant ©.

De quoi mettre vos nerfs à rude épreuve ; ça change de cible comme ça veut, ça lance des sorts au pif, et vas-y que le fragile archer décide d’aller faire un câlin au corps-à-corps au gros ogre baveux qui fait dix fois sa taille à l’autre bout de la map. On comprend mieux pourquoi ils ont rendu la chose aussi facile en normal, et pourquoi le friendly fire est désactivé… parce que ce n’est pas jouable, sinon. Et c’est tout le temps comme ça, c’est tout bêtement injouable autrement qu’en Normal en fonçant dans le tas, je vous dis. Et je ne parle même pas de l’interface qui a pris un peu de lourdeur au passage. Ben ouais, pourquoi reprendre la jouabilité exemplaire de Dragon Age Origins sur PC ? Ah, ces combats. En fait, ils tiennent plus de la fête à la saucisse que de la fresque épique. Si j’avais un talent d’auteur, j’en aurais écrit une chanson sur l’air du Pudding à l’Arsenic.

Vous avez tout de même – encore heureux – le contrôle sur l’évolution statistique et les pouvoirs de vos compagnons. Classiquement, à chaque niveau d’expérience passé, vous aurez de nouveaux points à distribuer parmi plusieurs caractéristiques et plusieurs pouvoirs… qui rivalisent de bourrinisme primaire et vous serviront uniquement en combat. Notez qu’il n’est pas possible d’équiper vos compagnons d’armures, voire même d’armes particulières. Au même titre que le personnage principal imposé, si cet aspect pourrait en faire râler certains, je ne serais pas aussi catégorique. C’est justifiable dans l’approche globale du jeu, qui – on le verra par la suite – préfère limiter les possibilités de personnalisation des différents PJ (… Hawke compris) pour leur donner une plus grande personnalité. Vos compagnons ne sont pas des poupées sans âme à habiller à l’envie ; ils ont leurs propres goûts cohérents avec leur personnalité et / ou leur métier. Que serait Varric sans sa fidèle arbalète Bianca ?

Vos compagnons ne vous serviront pas que pour la baston ; il subsiste tout de même un système de dialogue. Moderne et assez bien pensé en soi, il exploite la roue de dialogue (… beurk) de Mass Effect dans une variante plus fine : la séparation habituelle « gentil / méchant » fait place à un système d’archétypes de personnalité et de tons plus variés et plus gris. Malheureusement, les moments de causette au calme se font rares et bien trop courts… ramifications et possibilités sont drastiquement limitées. Si vous aimez faire autre chose que taper sur des trucs dans un RPG, les quêtes de Dragon Age 2 ne vous feront pas bondir de joie. Avec plus ou moins de succès, les scénaristes ont développé des trésors d’inventivité pour faire en sorte que la large majorité des rares choix se terminent en baston générale.

 

Promenons-nous dans Kirkwall

Allez, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Vous voulez une nouvelle tranche de rire jaune ? Touchons un mot des environnements.

Dragon age 2 utilise la bonne vielle structure de l’overworld qui relie plusieurs petites maps entre elles, avec la nuance – dommage sans être critique non plus – qu’il n’y a pas de rencontre aléatoire. L’exploration est bien entendu un des éléments centraux du jeu. Lorsque vous ne serez pas dans les rues de Kirkwall, vous serez amenés à écumer des petites zones assez linéaires. Elles ne sont pas dégueulasses visuellement, et y’a généralement de quoi looter, mais vous allez comprendre ce que signifie le terme « recyclage » en jeu vidéo. Les environnements différents se comptent sur les doigts d’une main. Je parle d’environnements, mais c’est pire que ça : les maps d’un même environnement sont toutes absolument identiques. La seule nuance ? Certaines portes sont parfois fermées, parfois non, et le plus souvent avec un simple mur moche et tout sauf naturel. Ils ont refait le coup de Mass Effect. Ouais… sauf que là, cela concerne même la quête principale.

Pourtant, à côté de cela, la ville de Kirkwall n’est pas mal fichue. Heureusement d’ailleurs, puisqu’elle est le théâtre des événements centraux de l’histoire. Assez variée, cohérente, et agréable à parcourir, si on fait abstraction des défauts que Bioware traîne depuis longtemps, à savoir les PNJ meubles ultra-statiques. La bonne surprise toutefois, est que le jeu nous gratifie d’un cycle jour / nuit, qui a une influence sur les quêtes et les activités des PNJ, même si comme le reste, c’est du torché à la va-vite ; jour et nuit ne passent pas automatiquement mais sont sur commande. Certainement plus facile à implémenter, mais bonjour l’immersion…

 

Kirkwall, ton univers impitoyable

Il est certain que les gros soucis du jeu sont surtout liés à un rushage qui dépasse l’entendement – en un an, pas le temps de fignoler une IA ou dessiner des centaines de maps différentes…  Pourtant, le jeu parvient à sortir la tête de l’eau, lors de vrais moments de gloire, vraiment plaisants, qui font presque oublier le reste. Filez-lui deux ans de plus, zut alors ! Assez déversé de fiel, donc – on arrive enfin à la partie intéressante.

Comme dit plus haut, le jeu se veut plus court, linéaire et limité côté personnalisation, pour soutenir une histoire plus forte. Avant de continuer sachez d’abord une chose : j’ai beau essayer d’être un peu objectif quand j’écris sur un jeu (… oui-oui, promis), je ne suis pas franchement fan des histoires de Bioware, généralement. J’y peux rien, ça me gave, ces grands chevaliers qui sauvent le monde et charclent les Grands Méchants Toupabo envers et contre tous. Raison de plus pour apprécier lorsqu’ils semblent s’éloigner un peu de ce schéma éculé. Oui, ça valait le coup de diviser par deux la durée de vie et de faire un quasi-couloir, quand on voit à quel point c’est plus intéressant à suivre qu’Origins.

Dragon Age 2, c’est l’histoire de l’ascension d’un homme comme un autre qui se retrouve pris dans des événements d’ampleur. C’est là qu’est toute la nuance face à l’héroïsme primaire habituel. Hawke a une famille, avec laquelle il doit entretenir une relation malgré tout, et les liens qui en découlent sont vraiment développés. Hawke fait des choix, prend des décisions qui s’avèrent parfois être des erreurs. Hawke est réellement humain, loin du demi-dieu habituel. Sans spoiler, disons que des tensions entre templiers et mages déchirent Kirkwall. Les uns se sentent opprimés, là où les autres souhaitent maintenir l’ordre. Elles finissent par toucher plus directement Hawke – on devine le type de choix auquel on sera mené.

Dragon Age 2, c’est aussi l’histoire des Qunari, injustement survolés dans Origins. Plus encore qu’une dose d’originalité dans un univers saturé d’humains, d’elfes et de nains, c’est un peuple d’une grande noblesse, aux idéaux certes extrémistes, mais qui s’avèrent former une alternative viable. Présents en tant que réfugiés dans Kirkwall, leur séjour traîne en longueur pour d’obscures raisons et alimente des tensions supplémentaires…

Les dialogues – comme on l’a vu – sont rares et parfois limités, mais assez bien écrits, allant au moins à l’essentiel. L’histoire est simple, se laisse suivre sans faire d’ombre au gameplay, et se paie le luxe d’un vrai sous-texte. Elle a l’originalité de traiter des thèmes très « dans l’air du temps », très rares pour le style, car intrinsèquement plus adaptés à de la SF qu’à de l’heroic-fantasy. L’opposition d’une quête de liberté face à une volonté de sécurité, les dérapages que cela peut impliquer d’un côté ou de l’autre… et les Qunari au milieu de tout ça. Choc des civilisations, manipulation de la presse, totalitarisme, racisme, terrorisme, sont présentés avec une justesse, une richesse et une profondeur surprenantes de la part d’un jeu aussi grand public, et aussi bâclé sur à peu près tous les autres aspects. Une histoire mature. Dans un AAA. Ouais. Dommage que l’obligatoire révélation de fin atténue un peu la subtilité de la chose en forçant l’intégration d’un grand méchant, juste pour fournir un boss de fin. C’est du moins l’impression de ça donne.

Le traitement des compagnons est tout aussi sympathique ; façon Mass Effect 2, leurs personnalités sont extrêmes, mais tous sont intéressants à leur manière. Ils ont leurs convictions et font des erreurs, et si beaucoup sont très cliché, leur relation avec Hawke est particulièrement développée. Le jeu s’avère même surprenant sur certains détails. J’aimerais citer comme exemple Aveline, rencontrée dès le début. Femme forte, très sérieuse, chevalier au grand sens de l’honneur qui prend sont boulot à cœur. Là où beaucoup en auraient fait une guerrière sexualisée en bikini de combat ou un Rambo ultra-viril avec une paire de seins, Aveline est simplement… humaine. Pas forcément plus gâtée par la nature qu’une autre, féminine sous son armure et ses traits carrés, peu à l’aise dans les relations amoureuses, elle s’avère touchante sous sa carapace. Le plus beau, c’est qu’elle est romançable comme les autres… mais que cela se solde forcément par un râteau des familles. Ça colle tellement avec le personnage, et c’est tellement inhabituel pour ce type de jeu ! Hawke dépend d’Aveline, pas l’inverse. Et ce n’est qu’un exemple (… presque) au hasard. C’est à se demander si un type de chez CDProjekt ne s’est pas tapé l’incruste le temps d’écrire deux-trois personnages…

 

Dis, tu veux être mon copain, dis ?

Et puis, il y a autre chose. De l’ordre du ressenti, beaucoup plus subjectif, qui s’étale sur plein d’aspects.

Y’a une bonne histoire, certes, mais aussi du fun simple et con, un plaisir coupable adolescent, à la limite de me faire repousser des boutons d’acné. Ces arbres de pouvoirs remplis de trucs bourrins, mais fun, tout simplement fun et sans prise de tête. Les combats sont certes mal foutus, mais vraiment dynamiques, et tous ces trucs débiles qui trahissent un public cible « djeuns », du style gore too-much, mages qui font du kung-fu avec leur bâton… Autre chose ? Regardez-moi le design des elfes. Ils se démarquent enfin de simples humains avec de grandes oreilles, mais sont devenus très manga, avec les clichés de personnalité qui vont avec. Entre la petite elfette kawai et l’emo torturé aux cheveux blancs, qui cachent de lourds secrets, c’est un festival ! Et ces romances, cet espèce de baisodrome absurde où tout le monde est bisexuel… le personnage d’Isabella

Ça m’a fait marrer, je dois l’avouer. Je pense pas que cela soit voulu, mais le fait est que tout le jeu semble un peu mièvre et très ado en-dehors de l’histoire, ce qui le rend aussi inoffensif qu’éminemment sympathique. Dragon Age 2, c’est ton pote, il te le répète tout le temps. Il est un peu chiant parfois (… bon, d’accord, souvent), mais tu aimes bien faire des soirées avec ; ça te rappelle le bon vieux temps où tu branlais rien au lycée…

 

Vous avez aimé Dragon Age Origins, son excellent gameplay aussi tactique qu’accessible, et son histoire héroïque d’un classicisme aussi désespérant que (pourtant) efficace ? Dragon Age 2, c’est tout le contraire. Ça rappellerait presque du Obsidian. Des soucis de finition, un gameplay bourrin et bancal, mais avec une histoire en forme de vent de fraîcheur qui fait vraiment plaisir. Une écriture qui a gagné en maturité, et qui détonne un peu dans les habitudes de Bioware. Dragon Age 2 est un jeu sympa. Frustrant dans son bâclage, sorti avec une intention dégueulasse qui tue dans l’œuf l’attachement que l’on aime porter à d’autres jeux tout cassés comme Alpha Protocol, Vampire Bloodlines, Kotor 2, ou Deadly Premonition, mais définitivement intéressant et sous-estimé. Et on le trouve dans des bacs à soldes pour le prix d’un café. Bioware aura t-il retenu la leçon pour la suite ? Mystère et boule de gomme.

Spoiler : Ben non, faut pas déconner non plus…

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A propos de l'auteur : Prypiat

Paladin des Terres Dévastées. Un peu irradié.

2 Commentaires sur “Dragon Age 2”

  1. Toupilitou dit :

    C’est typiquement le genre de jeu auquel j’ai donné une deuxième chance ; le gameplay et le pop intempestif de mobs m’avaient tellement gonflé que j’avais vite lâché l’affaire.

    Je l’ai relancé plus tard en facile, et effectivement, côté histoire / écriture / compagnons, c’était bien foutu, et ça a relancé mon intérêt sur la bête.

    Pour autant, est-ce qu’il me laissera un souvenir impérissable, comme ont pu le faire d’autres mal-branlés jeux que tu cites (Alpha Protocol, Vampires, KOTOR 2, etc…) ? Eeeeeh bien, non. Ce n’est clairement pas du même niveau ; sympathique, mais sans plus ^^

    Par contre, avec Inquisition, la deuxième chance n’y a strictement rien fait

  2. Marcheur dit :

    C’est clair qu’il est pas à mettre au même niveau qu’un Alpha Protocol, Vampires ou encore pire, Kotor 2, mais il reste le Bioware le plus intéressant à ce jour côté écriture. Et si je pouvais souligner le « Bioware le plus intéressant » je le ferais :p


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